Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/31

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le parfum, soit pour examiner les gouttes de rosée renfermées dans leurs pétales. Un gros scarabée passa en bourdonnant près de moi et alla se poser sur une plante aux pieds de M. Rochester ; il le vit et s’inclina pour le regarder.

« Maintenant, pensai-je, il me tourne le dos et il est occupé, peut-être pourrai-je sortir sans être remarquée. »

Je marchai sur le gazon, afin que ma présence ne fût pas révélée par le craquement du sable ; M. Rochester se tenait à un ou deux mètres de l’endroit devant lequel j’étais obligée de passer ; il semblait absorbé dans la contemplation de l’insecte. « Je pourrai très bien me retirer sans être vue, » me dis-je. Au moment où je passai près de son ombre, projetée sur le jardin par la lune qui n’était pas encore complètement levée, il me dit tranquillement et sans se retourner :

« Jane, venez un peu ici voir cet insecte. »

Je n’avais fait aucun bruit ; il n’avait pas d’yeux derrière le dos, son ombre m’avait donc sentie ; je tressaillis d’abord, puis je m’approchai.

« Regardez ces ailes, me dit-il ; cet animal me rappelle les insectes de l’Inde. Il est rare de voir en Angleterre un rôdeur de nuit aussi grand et aussi gai ; ah ! le voilà envolé. »

L’insecte partit. J’allais l’imiter, mais M. Rochester me suivit, et, au moment où j’atteignis la porte, il me dit :

« Revenez ; par une nuit si belle, il serait honteux de rester enfermée, et personne ne peut désirer dormir au moment où le soleil couchant fait place à la lune qui se lève. »

Bien que souvent ma langue soit prompte à répondre, il y a des cas où je ne puis trouver une phrase pour m’excuser, et cela arrive presque toujours dans des circonstances où un simple mot et un prétexte plausible seraient bien nécessaires pour me tirer d’un embarras pénible. Je ne désirais pas me promener à cette heure avec M. Rochester dans le verger obscur, mais je ne pouvais trouver aucune raison pour le quitter. Je le suivis lentement, tout en cherchant un moyen de délivrance ; mais il était lui-même si calme et si grave que j’eus honte de mon trouble : la pensée que ce que je faisais là n’était pas bien ne préoccupait que moi ; la conscience de M. Rochester semblait parfaitement calme.

« Jane, me dit-il, lorsque, après être entrés dans l’allée bordée de lauriers, nous nous dirigeâmes du côté de la barrière et du marronnier d’Inde, Thornfield est une résidence agréable en été, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur.