Page:Brontë - Jane Eyre, II.djvu/41

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en entendant parler M. Rochester, je n’éprouvai pas une joie intime, je ressentis comme un choc violent ; je fus étonnée, presque effrayée.

« Vous avez rougi, et maintenant vous êtes bien pâle, Jane, pourquoi ?

— Parce que vous m’avez appelée Jane Rochester, et cela me semble étrange.

— Oui, la jeune Mme Rochester, la fiancée de Fairfax Rochester.

— Cela ne se pourra pas, monsieur ; le nom de Jane Rochester sonne étrangement ; les hommes ne jouissent jamais d’un bonheur complet sur la terre ; je ne suis pas destinée à avoir un sort plus heureux que les autres jeunes filles dans ma position ; me figurer un tel bonheur, c’est croire à un conte de fée.

— Eh bien, celui-là, j’en ferai une réalité ; je commencerai dès demain. Ce matin, j’ai écrit à mon banquier de Londres, pour qu’il m’envoyât certains bijoux qu’il a en sa possession ; ils ont toujours appartenu aux dames de Thornfield ; dans un jour ou deux, j’espère pouvoir les remettre entre vos mains : car je veux vous entourer des mêmes soins et des mêmes attentions que si vous étiez la fille d’un lord.

— Oh ! monsieur, ne pensez pas aux bijoux, je n’aime pas à en entendre parler ; des bijoux pour Jane Eyre ! Cela aussi me semble étrange et peu naturel ; je préférerais n’en point avoir.

— Je veux mettre moi-même la chaîne de diamants autour de votre cou et placer le cercle d’or sur votre front : car sur ce front du moins la nature a posé son cachet de noblesse. Je veux attacher des bracelets sur ces poignets délicats, et charger d’anneaux ces doigts de fée.

— Non, non, monsieur, pensez à autre chose ; ne me parlez pas de cela, et surtout de cette manière ; ne vous adressez pas à moi comme si j’étais belle ; je suis une institutrice laide et semblable à une quakeresse.

— Vous êtes belle à mes yeux ; vous avez la beauté que j’aime, vous êtes délicate et aérienne.

— Vous voulez dire chétive et nulle. Vous rêvez, monsieur ou vous raillez ; pour l’amour de Dieu, ne soyez pas ironique.

— Je forcerai le monde à vous déclarer belle, » ajouta-t-il.

Mon embarras croissait à l’entendre parler ainsi ; il me semblait qu’il voulait soit se tromper, soit essayer de me tromper moi-même.

« Je vêtirai ma Jane de satin et de dentelle, continua-t-il,