Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/108

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craint que sa présence inattendue ne contrarie Robert. Une seconde auparavant elle se fût précipitée au-devant de lui ; maintenant elle voudrait fuir. Elle ne le peut ; il n’y a aucune issue. La salle à manger n’a qu’une porte, celle par laquelle entre en ce moment son cousin. Elle balbutie une sorte d’excuse :

« J’ai quitté le salon une minute pour prendre un peu de repos. »

Il y avait quelque chose de si timide, de si embarrassé dans l’air et le ton avec lesquels elle prononça ces paroles, que le premier venu eût pu s’apercevoir que quelque triste changement s’était opéré en elle, et que sa vive assurance d’autrefois l’avait abandonnée. M. Moore se rappelait sans doute avec quel aimable empressement et quelle douce confiance elle avait l’habitude de l’accueillir. Il eût pu voir l’effet qu’avait produit sa froideur ; il avait là une occasion de continuer son nouveau système avec succès, s’il voulait encore l’améliorer. Peut-être trouvait-il plus aisé de pratiquer ce système au grand jour, dans la cour de sa fabrique, au milieu de ses occupations, que dans un tranquille parloir et dans le calme de la soirée. Fanny alluma les chandelles, qui étaient demeurées éteintes sur la table, apporta tout ce qu’il fallait pour écrire et se retira. Caroline se disposait à la suivre. Moore, pour être conséquent, eût dû la laisser aller ; cependant il se dressa devant la porte, et, étendant la main, la retint doucement en arrière : il ne lui dit pas de rester, mais il ne voulait pas la laisser partir.

« Dois-je aller dire à mon oncle que vous êtes ici ? » dit-elle toujours de la même voix émue.

— Non ; je puis vous dire tout ce que j’avais à lui dire. Voudrez-vous être ma messagère ?

— Oui, Robert.

— Alors vous pouvez lui apprendre que j’ai découvert un indice de l’identité de l’un au moins des hommes qui ont brisé mes métiers ; qu’il appartient à la bande qui a attaqué les magasins de Sykes et de Pearson, et que j’ai l’espoir de le voir arrêté demain matin. Vous pourrez vous rappeler cela ?

— Oh ! oui. »

Ces deux monosyllabes furent prononcés d’un ton plus triste que jamais, et en les prononçant elle secoua légèrement la tête et soupira.