Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/128

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— Fort bien, je vous remercie, dit Moore ; bonjour, messieurs, » ajouta-t-il en les conduisant poliment à la porte.

Moore fut taciturne et sombre pendant le reste de la journée. C’est à peine s’il daignait répondre à Joe Scott, qui, de son côté, ne lui adressait la parole que lorsque les affaires l’exigeaient absolument, mais le guettait continuellement du coin de l’œil, venait sans cesse tisonner son feu, et lui fit même l’observation, au moment où il allait fermer les portes de la fabrique (car, à cause de la stagnation du commerce, on ne travaillait qu’une partie de la journée), que la soirée était bien longue, et qu’il aimerait à lui voir faire dans le haut de la vallée une petite promenade qui lui ferait du bien.

À cette recommandation, Moore partit d’un brusque éclat de rire, et, après avoir demandé à Joe ce que signifiait cette sollicitude, s’il le prenait pour une femme ou pour un enfant, il lui prit les clefs des mains et le poussa par les épaules hors de sa présence. Il le rappela cependant avant qu’il n’eût passé la porte de la cour.

« Joe, vous connaissez ces Farren ? Ils ne doivent pas être dans une position aisée, je suppose ?

— Assurément, puisqu’ils n’ont pas eu de travail depuis trois mois. Vous avez pu voir vous-même combien William est changé. Ils ont vendu tout le mobilier de leur maison.

— Ce n’était pas un mauvais ouvrier ?

— Vous n’en avez jamais eu de meilleur depuis que vous êtes dans les affaires.

— Et ce sont d’honnêtes gens, toute la famille ?

— Il n’y en a pas de plus honnêtes ; la femme est la décence même, et propre ! vous pourriez manger vos poireaux sur le plancher de sa maison. Ils sont bien malheureux. Je voudrais que William pût trouver quelque chose à faire, soit comme jardinier, soit autrement. Il entend parfaitement le jardinage. Il a demeuré autrefois avec un Écossais qui lui a appris les mystères du métier, comme ils disent.

— Maintenant, vous pouvez partir, Joe ; vous n’avez pas besoin de rester là debout à me regarder.

— Vous ne m’avez pas donné d’ordres, monsieur.

— Aucun, si ce n’est de me débarrasser de votre présence. »

Ce que Joe ne se fit point répéter.

Les soirées du printemps sont souvent froides et humides, et, quoique ce jour-là eût été très-beau, l’air se refroidit au cou-