Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/138

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de vous, n’est-ce pas ? demanda Jessy. Vous-même les appelez grossiers, ma mère.

— Oui, mignonne, mille fois plus de bien ; j’ai assez de grossiers garçons autour de moi toute la journée.

— Il y a beaucoup de personnes, continua Jessy, qui ne remarquent que les garçons ; mes oncles et mes tantes semblent tous croire que leurs neveux valent mieux que leurs nièces, et, lorsque des messieurs viennent dîner ici, c’est toujours à Mathieu, à Marc et à Martin qu’ils adressent la parole, et jamais à Rose et à moi. M. Moore est notre ami, et nous voulons le conserver ; mais faites attention, Rose, qu’il n’est pas autant votre ami que le mien ; c’est ma connaissance particulière, souvenez-vous de cela. »

Et elle levait sa petite main avec un geste d’avertissement.

Rose était accoutumée à être avertie par cette petite main ; sa volonté pliait chaque jour devant celle de l’impétueuse petite Jessy ; en mille choses elle se laissait mener et gouverner par Jessy. Dans toutes les occasions de parade ou de plaisir, Jessy marchait en tête et Rose demeurait tranquillement au second plan, de même que, dans les choses désagréables de la vie, lorsque le travail ou les privations étaient en question, Rose prenait instinctivement sur elle, en addition à sa propre part, tout ce qu’elle pouvait de celle de sa sœur. Jessy avait arrêté déjà dans son esprit qu’elle se marierait aussitôt qu’elle serait assez grande ; elle avait décidé que Rose resterait fille, pour demeurer avec elle, avoir soin de ses enfants et tenir sa maison. Cet état de choses n’est point rare entre deux sœurs, lorsque l’une est jolie et que l’autre ne l’est pas ; mais ici, s’il y avait quelque différence de ce genre, elle était à l’avantage de Rose : son visage était plus régulier que celui de la piquante petite Jessy. Jessy, cependant, était destinée à posséder, en même temps que la vivacité de l’intelligence et l’ardeur des sentiments, le don de fascination, le pouvoir de charmer, quand, où et qui elle voudrait. Rose aurait une âme belle et généreuse, une intelligence noble et profondément cultivée, un cœur fidèle comme l’acier, mais elle ne devait pas posséder la science de charmer et d’attirer à elle.

« Allons, Rose, dites-moi le nom de la dame qui ne me trouve pas sentimental, reprit Moore.

— Cela m’est impossible ; je ne la connais pas.

— Décrivez-la-moi ; comment est-elle ? Où l’avez-vous vue ?