Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/181

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n’est donc guère probable que je vous la donne en sa présence.

— Non, et peut-être se passera-t-il un temps assez long avant que je l’obtienne. Je suis souvent réduite au supplice de Tantale par l’extrême réserve de mistress Pryor, monsieur Helstone. Ses jugements doivent être corrects lorsqu’ils arrivent, car ils sont souvent aussi lents à venir que ceux du lord chancelier. Mes sollicitations ne peuvent la décider à se prononcer sur le caractère de certaines personnes. »

Mistress Pryor sourit.

« Oui, je sais ce que signifie ce sourire : vous pensez à mon fermier gentilhomme. Connaissez-vous M. Moore, de Hollow ? demanda-t-elle à M. Helstone.

— Oui, oui, votre fermier : vous l’avez vu beaucoup sans doute depuis votre arrivée ?

— J’ai été obligée de le voir. Il y a des affaires à traiter. Les affaires ! ce mot me fait souvenir que je ne suis plus une jeune fille, mais une femme, et même quelque chose de plus qu’une femme ; je suis un squire ; Shirley Keeldar, Esq., devraient être mon nom et mon titre. Ils m’ont donné un nom d’homme ; j’occupe la position d’un homme ; c’en est assez pour me donner une touche de virilité ; et, lorsque je vois des gens comme ce superbe Anglo-Belge, ce Gérard Moore, devant moi et me parlant gravement d’affaires, je me crois tout à fait un gentleman. Vous devriez me choisir pour votre marguillier, monsieur Helstone, la première fois que vous aurez à en élire un. Il faut aussi que je devienne magistrat et capitaine de la milice. La mère de Tony Lumpkin était bien colonel, et sa tante juge de paix ; pourquoi ne le serais-je pas ?

— De tout mon cœur ! Si vous sollicitez les suffrages, je vous promets de mettre mon nom en tête de la liste des votes. Mais nous parlions de Moore ?

— Ah ! oui. Je trouve qu’il est un peu difficile de comprendre M. Moore, de savoir ce qu’il faut penser de lui : s’il est ou non un homme auquel on doive accorder son amitié. Il me paraît un locataire dont tout propriétaire peut être fier, et je suis fière de lui en ce sens ; mais comme voisin, quel est-il ? À plusieurs reprises j’ai engagé mistress Pryor à dire ce qu’elle pense de lui ; mais elle élude toujours une réponse directe. J’espère que vous serez moins ambigu, monsieur Helstone, et que vous vous prononcerez immédiatement. L’aimez-vous ?