Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/189

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— Vraiment, je n’en connais aucune à peu près de nos âges, aucune dame du moins, et quant aux gentlemen…

— Une excursion prend un tout autre caractère lorsqu’il y a des hommes de la partie, interrompit Caroline.

— Je suis de votre avis ; ce serait chose toute différente de celle que nous nous proposions.

— Nous voulions simplement aller voir de vieux arbres, de vieilles ruines ; passer un jour dans le vieux temps, environnées de silence et par-dessus tout de quiétude.

— Vous avez raison, et la présence d’hommes ferait évanouir ce dernier charme, je pense. S’ils sont de la mauvaise espèce, comme votre Malone, l’irritation prend la place de la sérénité ; s’ils sont de la bonne, il y a aussi un changement, je ne puis dire lequel, un changement aisé à comprendre, difficile à décrire.

— Premièrement, nous oublions la nature.

— Et alors la nature nous oublie ; elle couvre son front vaste et calme d’un voile obscur ; elle nous dérobe sa face et retire les joies paisibles dont, si nous nous étions contentées de son culte, elle eût rempli nos cœurs.

— Et que nous donne-t-elle à la place ?

— Plus d’orgueil et plus d’anxiété : une excitation qui emporte rapidement nos heures, et un trouble qui en tourmente et en agite le cours.

— Notre pouvoir d’être heureux gît beaucoup en nous-mêmes, je crois, fit sagement remarquer Caroline. Je suis allée au bois de Nunnely avec une nombreuse société, tous les vicaires et quelques gentlemen de ce district, avec plusieurs ladies, et je trouvai l’excursion insupportablement ennuyeuse ; j’y suis allée toute seule, ou accompagnée seulement de Fanny, qui s’asseyait dans la cabane du garde, cousait ou s’entretenait avec la bonne femme, pendant que j’errais çà et là, lisant ou dessinant des points de vue, et j’ai joui quelquefois d’un bonheur calme et complet pendant tout un jour. Mais alors j’étais jeune ; il y a de cela deux ans.

— Y êtes-vous jamais allée avec votre cousin Robert Moore ?

— Oui, une fois.

— Quelle sorte de compagnon est-il en ces occasions ?

— Un cousin, vous savez, n’est pas comme un étranger.

— Je le sais ; mais les cousins, s’ils sont stupides, sont