Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/214

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Miss Helstone avait promis de passer la soirée du lendemain à Fieldhead, et elle tint sa promesse. Les heures qui s’écoulèrent dans l’intervalle furent tristes. Elle en passa une grande partie renfermée dans sa chambre, n’en sortant que pour joindre son oncle aux repas, et prévenant les questions de Fanny en lui disant qu’elle était occupée à changer la forme d’une robe, et qu’elle préférait coudre à l’étage supérieur, pour éviter d’être interrompue.

Elle s’occupa en effet de couture ; elle poussa continuellement et sans relâche son aiguille : mais le travail de son cerveau était plus rapide que celui de ses doigts. De nouveau et plus vivement que jamais elle désira une occupation fixe, quelque rude, quelque ennuyeuse qu’elle pût être. Elle résolut d’en entretenir de nouveau son oncle, mais auparavant elle voulait consulter mistress Pryor. Sa tête travaillait à imaginer des projets avec autant de diligence que ses doigts à plisser et à coudre le léger tissu de mousseline de la robe d’été étendue sur la couche au pied de laquelle elle était assise. De temps à autre, pendant cette double occupation, une larme remplissait ses yeux et tombait sur ses mains actives. Mais ce signe d’émotion était rare et promptement effacé : la douloureuse angoisse passait, le brouillard qui obscurcissait sa vue se dissipait ; elle reprenait son aiguille et continuait son travail.

Vers la fin de l’après-midi, elle s’habilla elle-même : elle se rendit à Fieldhead, et fit son apparition au vieux parloir juste au moment où l’on servait le thé. Shirley lui demanda pourquoi elle venait si tard.

« Parce que j’ai fait moi-même ma robe. Ces beaux jours resplendissants de soleil me faisaient rougir de mon mérinos d’hiver ; ainsi je me suis confectionné un vêtement plus léger.

— Dans lequel vous êtes comme j’aime à vous voir, dit Shirley. Vous avez l’air d’une petite lady, Caroline ; n’est-ce pas, mistress Pryor ? »

Mistress Pryor ne faisait jamais de compliments, et rarement se permettait des remarques, favorables ou autres, sur l’extérieur de quelqu’un. Dans l’occasion présente, elle écarta seulement les boucles de Caroline de ses tempes lorsque celle-ci prit un siège auprès d’elle, caressa son profil ovale et dit : « Vous maigrissez un peu, ma chérie ; vous êtes plus pâle que d’habitude. Dormez-vous bien ? Vos yeux ont une certaine