Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/215

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expression de langueur. » Et elle le regardait avec un regard plein d’anxiété.

« J’ai parfois de tristes songes répondit Caroline, et, s’il m’arrive de demeurer éveillée une heure ou deux de la nuit, je pense continuellement que la rectorerie est une lugubre demeure. Vous savez qu’elle est très-près du cimetière. Le derrière de la maison est fort ancien, et l’on dit que les cuisines qui sont dans cet endroit étaient autrefois encloses dans le cimetière, et qu’il y a des tombes au-dessous. Je voudrais bien quitter la rectorerie.

— Ma chère, vous n’êtes sûrement pas superstitieuse ?

— Non, mistress Pryor, mais il me semble que je deviens ce que l’on appelle nerveuse. Je vois les choses sous un plus sombre aspect qu’autrefois ; j’ai des peurs que je n’ai jamais eues, non de revenants, mais de présages funestes, de désastreux événements ; j’ai sur l’esprit un poids inexprimable dont je ne puis arriver à me débarrasser.

— C’est étrange ! s’écria Shirley. Je n’éprouve jamais cela. »

Mistress Pryor garda le silence.

« Le beau temps, les belles journées, les scènes les plus ravissantes, n’ont aucun charme pour moi, continua Caroline. Les calmes soirées ne peuvent me donner la tranquillité ; la clarté de la lune, que je trouvais douce, maintenant me semble triste. Est-ce là une faiblesse d’esprit, mistress Pryor, ou autre chose ? Je ne puis le dire. Je lutte souvent contre cet état ; je fais appel à la raison, mes efforts et ma raison n’y peuvent rien.

— Vous devriez prendre plus d’exercice, dit mistress Pryor.

— De l’exercice ! j’en prends suffisamment ; j’en prends jusqu’à ce que je me sente défaillir.

— Ma chère, vous devriez quitter la rectorerie.

— Mistress Pryor, j’aimerais à quitter la rectorerie, mais non dans un but d’excursion ou de visite. Je voudrais être gouvernante comme vous l’avez été. Vous m’obligeriez beaucoup si vous vouliez parler à mon oncle à ce sujet.

— Absurdité ! interrompit Shirley. Quelle idée ! Être gouvernante ! mieux vaut cent fois être esclave ! Où est la nécessité de cela ? Pourquoi une résolution si extrême ?

— Ma chère, dit mistress Pryor, vous êtes trop jeune pour être gouvernante, et vous n’avez pas la force nécessaire ; les devoirs d’une gouvernante sont souvent pénibles.

— Et je crois avoir besoin de pénibles devoirs pour m’occuper.