Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/221

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— Mais il n’y a aucun mal dans nos fantaisies, n’est-ce pas votre avis, madame ?

— Nous savons que les sirènes n’existent pas : pourquoi en parler comme si elles existaient ? Quel intérêt pouvez-vous trouver à parler d’êtres imaginaires ?

— Je ne sais, dit Shirley.

— Ma chère, je crois que quelqu’un vient d’arriver. J’ai entendu un pas dans l’avenue pendant que vous causiez ; n’est-ce pas la porte du jardin qui crie ? »

Shirley s’avança vers la fenêtre.

« Oui, c’est quelqu’un, » dit-elle en se retournant tranquillement ; et, comme elle reprenait son siège, une légère rougeur colorait son visage pendant qu’un rayon tremblant animait et adoucissait son œil. Elle porta sa main à son menton, abaissa son regard, et parut réfléchir en attendant.

On annonça M. Moore, et Shirley se retourna lorsqu’il parut à la porte. Sa stature paraissait très-élevée, comparée à celle des trois femmes, dont aucune ne dépassait la taille moyenne. Depuis un an on ne lui avait jamais vu aussi bonne mine ; une espèce de jeunesse ressuscitée brillait dans ses yeux et dans son teint ; une espérance fortifiante et un dessein arrêté soutenaient sa démarche ; son attitude annonçait encore la fermeté, mais non l’austérité : il semblait aussi joyeux qu’il était animé.

« J’arrive à l’instant de Stilbro’, dit-il à miss Keeldar en la saluant, et j’ai voulu vous faire connaître le résultat de ma mission.

— Vous avez bien fait de ne pas me tenir en suspens, dit-elle, et votre visite arrive à propos. Asseyez-vous : nous n’avons pas encore fini de prendre le thé. Êtes-vous assez Anglais pour aimer le thé ? ou êtes-vous un fidèle adhérent du café ?

Moore accepta du thé.

« Je suis en train de me naturaliser Anglais, dit-il ; mes habitudes étrangères me quittent une à une. »

Ensuite il présenta ses respects à mistress Pryor, et les présenta bien, avec une grave modestie qui convenait à son âge, comparé au sien. Puis il regarda Caroline, non cependant pour la première fois, son regard était tombé sur elle auparavant ; il s’inclina devant elle qui était assise, lui donna sa main, et lui demanda comment elle se portait. Le jour de la fenêtre ne tombait pas sur miss Helstone, elle lui tournait le dos : une