Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/232

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suppliants. Moore pressa un instant les mains de Lina dans les siennes, son regard rencontra le sien, il lui dit bonsoir et partit.

Caroline fut un moment à la porte de la cuisine, derrière Fanny ; l’ombre du large chapeau se projeta à l’instant sur une tombe éclairée par la lune ; le recteur sortit de son jardin droit comme un jonc, et s’avança à pas lents, les mains derrière le dos, vers le cimetière. Moore fut presque surpris. Il fut obligé de tourner autour de l’église, puis enfin de cacher sa haute stature derrière l’ambitieux monument des Wynne. Il fut forcé de demeurer là dix minutes, un genou sur le gazon, la tête découverte ; ses yeux noirs étincelaient ; sur ses lèvres se jouait un sourire qui exprimait l’étrangeté de sa position, car le recteur était là, regardant tranquillement les étoiles et prenant une prise de tabac, à deux pas de lui.

Il arriva toutefois que M. Helstone n’avait, ce soir-là, aucun soupçon : car, s’occupant ordinairement fort peu des mouvements de sa nièce, il ne s’était point aperçu de son absence pendant toute la journée, et s’imaginait qu’elle était alors dans sa chambre, occupée à son travail ou à la lecture. Elle y était, en effet, mais absorbée par tout autre chose que ce calme exercice : debout à sa fenêtre, réprimant avec peine les battements de son cœur, son regard suivait avec inquiétude, de derrière la jalousie, les mouvements de son oncle et de son cousin. Enfin elle entendit M. Helstone rentrer, et elle vit son cousin enjamber les tombes et escalader le mur du cimetière. Elle descendit alors pour la prière. Lorsqu’elle retourna dans sa chambre, ce fut pour y retrouver les souvenirs de Robert. Le sommeil fut long à venir ; longtemps elle demeura assise à sa fenêtre, les regards dirigés sur le vieux jardin et la vieille église, sur les tombes éparses çà et là, et éclairées par la tranquille et douce clarté de la lune. Elle suivit la progression de la nuit dans sa course étoilée : son esprit était avec Robert ; elle se croyait à ses côtés ; elle entendait sa voix ; elle avait sa main dans la sienne. Quand l’horloge sonnait, quand un bruit quelconque se faisait entendre, quand une petite souris, depuis longtemps la paisible et familière habitante de sa chambre, et pour laquelle elle n’eût jamais permis à Fanny de tendre une trappe, venait trotter sur sa table-toilette, où étaient déposés sa chaîne, son unique anneau et deux ou trois breloques, pour grignoter un morceau de biscuit placé là à son intention, elle levait alors les yeux et se trouvait rappelée pour