Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/245

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depuis longtemps il avait épousé ses livres et sa paroisse ; sa bonne sœur Marguerite, portant lunettes et savante comme lui, le rendait heureux dans sa position de célibataire ; il pensait qu’il était trop tard pour changer. En outre, il avait connu Caroline lorsqu’elle n’était qu’une charmante petite fille ; elle s’était assise plusieurs fois sur ses genoux ; il lui avait acheté des joujoux et donné des livres ; il sentait que l’amitié qu’elle avait pour lui était mêlée d’une sorte de respect filial. Pour rien au monde il n’eût voulu essayer de donner une autre couleur aux sentiments de cette jeune fille, et son âme sereine pouvait servir de miroir à une charmante image, sans se sentir troublée par la réflexion.

Lorsque miss Ainley arriva, elle fut accueillie affablement par tout le monde. Mistress Pryor et Marguerite Hall lui firent une place sur le sofa au milieu d’elles, et, lorsqu’elles furent assises toutes trois, elles formèrent un trio qui eût prêté à rire à de joyeux étourdis (une veuve d’un âge mûr et deux vieilles filles à lunettes), mais qui n’en avait pas moins sa valeur, ainsi que le pouvaient attester les pauvres et les malheureux.

Shirley exposa l’affaire et développa le plan.

« Je connais la main qui l’a tracé, » dit M. Hall, jetant un coup d’œil à miss Ainley et souriant bénignement : son approbation était gagnée. Boultby écouta et délibéra le front baissé et la lèvre inférieure avancée : la chose lui paraissait trop importante pour qu’il donnât son consentement à la légère. Helstone regarda autour de lui d’un air éveillé et soupçonneux, comme s’il eût craint que quelque artifice féminin ne fût à l’œuvre, et que quelque personnage en jupons n’essayât, en dessous main, d’acquérir une trop grande importance.

Shirley saisit et comprit l’expression de son regard.

« Le projet n’est rien, dit-elle nonchalamment ; c’est seulement un canevas, une simple suggestion. Vous êtes priés, messieurs, de faire vous-mêmes un règlement. »

Et elle s’en fut aussitôt chercher le pupitre à écrire, se souriant malicieusement à elle-même en se penchant sur la table où il se trouvait ; elle en tira une feuille de papier, une plume neuve, approcha de la table une chaise à bras, et présentant sa main à Helstone, lui demanda la permission de l’y installer. Pendant une minute il fit quelques difficultés, et plissa d’une façon étrange son front bronzé. À la fin il murmura :

« Bien ; vous n’êtes ni ma femme ni ma fille, et je me laisse-