Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/247

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qui prennent toute chose pour ce qu’elle paraît être. Beaucoup, convaincus de ceci, tiennent systématiquement leurs cils baissés ; mais l’œil le plus voilé a toujours une échappée par laquelle il peut, à l’occasion, jeter un regard sur la vie. Je me rappelle avoir vu une fois une paire d’yeux bleus, qui paraissaient habituellement endormis, prendre secrètement l’alerte ; et je connus par leur expression, une expression qui me glaça le sang et que je ne m’attendais guère à trouver en cet endroit, que depuis des années ces yeux lisaient sournoisement au fond des âmes. Le monde appelait celle qui possédait ces yeux bleus « une bonne petite femme. » Ce n’était point une Anglaise. J’étudiai sa nature par la suite, je l’appris par cœur, dans ses replis les plus secrets et les plus cachés : elle était la plus fine, la plus profonde, la plus subtile femme à projets de l’Europe.

Lorsque tout fut réglé selon les intentions de miss Keeldar, et que les recteurs furent entrés dans l’esprit de son projet au point de consentir à placer leur signature en tête de la liste de souscription chacun pour une somme de cinquante livres sterling, elle ordonna qu’on servît le souper. Elle avait recommandé à mistress Gill de déployer toute son habileté dans la préparation de ce repas. M. Hall n’était pas un bon vivant, il était naturellement sobre ; mais Boultby et Helstone aimaient tous deux la bonne cuisine. Le souper, des plus recherchés, les mit d’excellente humeur ; ils lui firent raison, comme des gentlemen toutefois, et non comme eût fait M. Donne, s’il avait été présent. Les vins fins furent dégustés avec plaisir et discernement. Le capitaine Keeldar fut complimenté sur son goût ; le compliment le charma : il avait voulu satisfaire ses religieux convives ; il avait réussi, et son visage rayonnait de plaisir.




CHAPITRE XIV.

L’exode de M. Donne.


Le lendemain, Shirley exprima à Caroline combien elle avait éprouvé de plaisir dans la petite réunion de la veille.

« J’aime à traiter une réunion d’hommes, disait-elle : il est