Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/28

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se précipitait avec un bruit égal à celui d’un torrent. L’oreille de Moore, néanmoins, perçut un autre bruit, très-éloigné, mais que l’on ne pouvait confondre avec le premier, le bruit de lourdes roues sur une route pavée. Il retourna au comptoir et alluma une lanterne, avec laquelle il traversa la cour de la fabrique, et se mit en devoir d’ouvrir les portes. Les lourdes voitures approchaient ; on entendait les pieds des chevaux clapoter dans la boue et dans l’eau. Moore les héla.

« Hé ! Joe Scott ! Tout est-il bien ? »

Probablement Joe Scott était à une trop grande distance pour entendre. Il ne répondit point.

« Tout est-il bien ? » demanda de nouveau Moore, lorsqu’un nez d’éléphant, celui du premier cheval, vint presque heurter le sien.

Quelqu’un sauta de la voiture sur la route en criant :

« Oui, oui, tout est bien. Nous les avons mises en pièces. »

Puis on entendit une course. Les voitures restaient immobiles. Elles ne contenaient personne.

« Joe Scott ! » Nul Joe Scott ne répondit. « Murgatroyd ! Pighills ! Sykes ! » Aucune réponse. M. Moore leva sa lanterne et regarda dans les véhicules ; il n’y avait ni hommes, ni machines ; ils étaient vides et abandonnés.

M. Moore aimait ses machines. Il avait risqué son dernier capital pour acheter les métiers qu’il attendait cette nuit ; des spéculations de la plus grande importance pour ses intérêts dépendaient du résultat que devaient produire ces nouveaux instruments : où étaient-ils ?

Ces mots ; « Nous les avons mises en pièces, » résonnaient à son oreille. De quelle manière était-il affecté par cette catastrophe ? À la lumière de la lanterne qu’il tenait à la main, on eût pu voir un étrange sourire errer sur ses traits ; le sourire d’un homme déterminé, arrivé à un moment de la vie où il doit faire appel à sa force, où la lutte est inévitable, où son énergie doit triompher ou se briser. Cependant il demeurait immobile, car en ce moment il ne savait ni quoi faire, ni quoi dire. Il posa à terre sa lanterne et demeura là les bras croisés, le regard fixé sur le sol, et réfléchissant.

Un mouvement de l’un des chevaux lui fit bientôt lever les yeux ; il aperçut un objet blanc attaché au harnais. Approchant sa lanterne, il vit que c’était un papier plié, un billet