Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/286

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grands ouverts. Monsieur Moore, vous serez sous ma surveillance. Vous aussi, soyez vigilante, Lina.

— Je le serai : Robert part, je l’ai vu se retourner, je crois qu’il nous a aperçues… Les voilà qui se donnent des poignées de main.

— Oui, ils se pressent les mains avec chaleur, » ajouta Shirley, comme pour ratifier quelque ligue solennelle.

Elles virent Robert quitter le groupe, passer à travers une porte et disparaître.

« Et il ne nous a pas dit au revoir, » murmura Caroline.

À peine ces mots se furent-ils échappés de ses lèvres, qu’elle essaya par un sourire de cacher le désappointement qu’ils semblaient trahir. Des larmes involontaires vinrent un moment humecter et illuminer ses yeux.

« Oh ! nous y aurons bientôt remédié, s’écria Shirley ; nous le forcerons de nous dire adieu.

— Le forcer ! cela n’est pas la même chose, répondit Caroline.

— Ce sera la même chose.

— Mais il est parti ; vous ne pourrez le rejoindre.

— Je connais un chemin plus court que celui qu’il a pris ; nous lui intercepterons le passage.

— Mais, Shirley, j’aimerais mieux ne pas y aller. »

Caroline dit cela comme miss Keeldar lui saisissait le bras et l’entraînait en bas des champs. Il était inutile de résister : rien n’égalait l’obstination de Shirley lorsqu’elle avait un caprice en tête. Caroline se trouva hors de la vue de la foule presque avant qu’elle pût se rendre compte de ce qu’elle faisait, et fut entraînée dans un passage étroit et ombreux, dont la voûte était formée de hautes épines et le tapis de marguerites. Elle ne fit nulle attention au soleil du soir qui traçait une marqueterie sur le gazon, ni au pur encens qui s’exhalait en ce moment des plantes et des arbres ; elle entendit seulement le guichet qui s’ouvrait à une extrémité du passage, et comprit que Robert approchait. Les longues branches d’épine qui se dressaient devant elles formaient une espèce d’écran : elles le virent avant qu’il ne pût les apercevoir. D’un coup d’œil, Caroline vit que sa joyeuse hilarité était passée : il l’avait laissée derrière lui dans les champs où les écoliers prenaient leurs ébats ; il ne lui restait plus que son air sombre, calme et préoccupé. Ainsi que l’avait dit Shirley, une certaine rudesse caractérisait son ex-