Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/353

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le conduise à la cuisine, et qu’elle s’assure de ses propres yeux si sa cruche d’eau est remplie. À travers la porte ouverte de la cuisine on aperçoit la cour, toute peuplée de coqs d’Inde et de leurs dindonneaux, de poules et de leurs poussins, d’oiseaux de Guinée au brillant plumage, et d’une riche variété de pigeons, les uns blancs, d’autres au col pourpré, d’autres bleus et couleur de cannelle. Spectacle irrésistible pour Shirley ! Elle court à la paneterie prendre un petit pain qu’elle vient leur émietter sur les marches de l’escalier : autour d’elle se pressent ardents et heureux ses sujets emplumés. John est à l’étable ; il faut qu’elle parle à John et qu’elle donne un coup d’œil à la jument. Elle est en train de la caresser lorsque l’on amène la vache pour la traire : cela est important ; il faut que Shirley reste et surveille toute chose. Il y a peut-être quelques petits veaux ou quelques petits agneaux, des jumeaux peut-être, que leurs mères rejettent ; Shirley se fait conduire auprès d’eux, et se permet le plaisir de leur donner la nourriture de ses propres mains, sous la direction du soigneux John. Pendant cette opération, John émet ses doutes touchant certaines questions d’agriculture, et sa maîtresse est obligée d’aller chercher son chapeau de paille et de l’accompagner en franchissant les barrières et longeant les haies, pour entendre sur place la conclusion de toute cette matière agriculturale. La brillante après-midi se change ainsi en douce soirée ; Shirley revient à la maison un peu tard prendre le thé, et après le thé elle ne coud jamais.

Après le thé Shirley lit, et elle est aussi tenace pour son livre qu’elle l’est peu pour son aiguille. Son cabinet d’étude est le devant de la cheminée, son siège un tabouret, ou peut-être seulement le tapis, aux pieds de mistress Pryor ; là, elle avait coutume d’apprendre ses leçons lorsqu’elle était enfant, et les vieilles habitudes ont conservé sur elle une grande puissance. Tartare est toujours étendu à côté d’elle, son museau noir allongé sur ses pattes de devant, droites, fortes et aussi grosses que celles d’un loup des Alpes. Une main de la maîtresse repose généralement sur la rude tête du serf fidèle, qui se montre mécontent et gronde lorsqu’elle la retire. L’esprit de Shirley est tout à son livre ; elle ne lève pas les yeux ; elle ne bouge ni ne parle, si ce n’est pour répondre brièvement et respectueusement à mistress Pryor, qui de temps à autre lui adresse des conseils sous forme de prières.