Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/369

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— Certainement, je serais souvent influencée par mes sentiments ; ils m’ont été donnés pour cette fin. Ceux que mes sentiments m’enseignent à aimer, je dois les aimer, et je les aimerai ; et j’ai l’espoir que, si jamais j’ai un époux et des enfants, mes sentiments me porteront à les aimer. J’espère, dans ce cas, que leur impulsion me poussera fortement à aimer. »

Caroline éprouvait du plaisir à dire cela avec emphase ; elle avait du plaisir à oser le dire en présence de mistress Yorke. Elle se mettait peu en peine de l’injuste sarcasme qu’elle pouvait s’attirer en réponse. Elle rougit, non de colère, mais d’excitation, quand la matrone répondit froidement :

« Ne gaspillez pas vos effets dramatiques. Cela a été très-bien dit, et c’est très-beau ; mais c’est le perdre que de le dire devant deux femmes, une vieille femme et une vieille fille : il aurait fallu que quelque gentleman à marier fût présent. Est-ce que M. Robert ne serait pas quelque part par là caché derrière un rideau ? Qu’en pensez-vous, miss Moore ? »

Hortense, qui, pendant la principale partie de la conversation, était demeurée à la cuisine, surveillant la préparation du thé, n’avait pas encore tout à fait saisi le sens de la conversation. Elle répondit d’un air étonné que Robert était à Whinbury. Mistress Yorke rit de son rire particulier.

« Simple miss Moore ! dit-elle d’un ton protecteur. C’est bien digne de vous, d’interpréter ma question si littéralement et d’y répondre si simplement. Votre esprit ne comprend rien à l’intrigue. D’étranges choses peuvent se passer autour de vous sans que vous en soyez plus sage ; vous n’êtes pas de celles que l’on peut appeler clairvoyantes. »

Ces compliments équivoques ne semblèrent pas faire plaisir à miss Moore. Elle se redressa, fronça ses noirs sourcils, mais parut toujours étonnée.

« J’ai toujours été, depuis mon enfance, citée pour ma sagacité et mon discernement, répondit-elle ; car elle se piquait tout particulièrement de posséder ces qualités.

— Vous n’avez jamais intrigué pour gagner un mari, j’en suis sûre, poursuivit mistress Yorke, et vous n’avez pas le bénéfice de l’expérience personnelle pour vous aider à découvrir les intrigues des autres. »

Caroline ressentit ce bienveillant langage où la bienveillante mistress Yorke voulait qu’elle le ressentît, dans son cœur. Elle