Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/390

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Il n’était pas étonnant que Caroline aimât à l’entendre chanter : sa voix, même en parlant, était douce et argentine ; lorsqu’elle chantait, elle semblait presque divine. Ni la flûte ni le tympanon n’avaient des sons si purs. Mais le son était secondaire, comparé à l’expression qui l’animait : la tendre vibration d’un cœur ému.

Les serviteurs, entendant de la cuisine, se glissèrent au pied de l’escalier pour écouter ; le vieux Helstone lui-même, qui se promenait dans le jardin, réfléchissant sur l’incompréhensible et faible nature de la femme, s’arrêta tout à coup au milieu de ses allées pour saisir plus distinctement la triste mélodie. Lui rappelait-elle sa femme morte ? lui faisait-elle plus vivement déplorer la jeunesse flétrie de Caroline ? c’est ce qu’il n’eût pu dire. Mais il fut bien aise de se souvenir qu’il avait promis de faire ce soir-là une visite à Wynne le magistrat. Il avait en profonde aversion la tristesse et les sombres pensées ; lorsqu’elles venaient l’assaillir, il trouvait toujours le moyen de s’en débarrasser au plus vite. Le chant le suivit faiblement pendant qu’il traversait la campagne : il hâta son pas ordinairement rapide, afin de ne plus être à la portée de l’entendre.

L’hymne finie, Caroline demanda une chanson écossaise.

Mistress Pryor obéit encore, ou essaya d’obéir. À la fin de la première stance elle s’arrêta ; elle ne pouvait plus continuer ; son cœur débordait.

« La tristesse de cette mélodie vous fait pleurer : venez ici, je vous consolerai, » dit Caroline d’une voix émue.

Mistress Pryor s’approcha ; elle s’assit sur le bord du lit de la malade, et lui permit d’entourer son cou avec ses bras amaigris.

« Vous me soulagez souvent, laissez-moi vous soulager à mon tour, murmura la jeune fille en baisant ses joues. J’espère, ajouta-t-elle, que ce n’est pas à cause de moi que vous pleurez ? »

Mistress Pryor ne répondit pas.

« Croyez-vous que je n’irai pas mieux ? Je ne me sens pas très-malade ; je me sens seulement faible.

— Mais votre esprit, Caroline, votre esprit est écrasé, votre cœur est brisé. Vous avez été si négligée, si repoussée ! on vous a laissée si longtemps désolée !

— Je crois que le chagrin est et a toujours été le plus vif