Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/395

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ce moment interrompus. Replaçant sa fille sur sa couche, elle arrangea l’oreiller et étendit les draps. Elle réunit ses cheveux dont les boucles étaient éparses ; elle rafraîchit son front humide de sueur avec une fraîche et odorante essence.

« Maman, dites-leur d’apporter une lumière, afin que je vous puisse voir ; et priez mon oncle de monter dans ma chambre à l’instant même : j’ai besoin de lui entendre dire que je suis votre fille. Et vous, maman, soupez ici, ne me quittez pas ce soir une minute.

— Oh ! Caroline ! que votre amabilité est puissante ! vous me direz : « Allez, » et j’irai ; « Venez, » et je viendrai ; « Faites ceci, » et je le ferai. Vous, vous avez hérité de certaines manières aussi bien que de certains traits. Vos ordres seront toujours irrésistibles, quoique formulés avec une grande douceur, Dieu merci. Et, ajouta-t-elle à voix basse, il parlait aussi avec douceur, quelquefois, comme une flûte soupirant de tendres modulations ; puis, lorsque le monde n’était pas là pour l’entendre, sa voix avait un son à déchirer les nerfs et à glacer le sang, une expression à rendre fou.

— Il semble si naturel, maman, de vous demander ceci et cela ! Je n’ai pas besoin que personne autre que vous soit près de moi ou fasse quelque chose pour moi ; mais ne me permettez pas d’être importune ; réprimez-moi, si je vais trop loin.

— Vous ne devez pas compter sur moi pour vous réprimer ; vous devez faire attention à vous. J’ai peu de courage moral ; c’est là mon principal défaut. C’est ce qui m’a rendu une mère dénaturée, ce qui m’a tenue éloignée de mon enfant pendant les dix ans qui se sont écoulés depuis que la mort de mon mari m’aurait permis de la réclamer ; c’est ce qui a énervé mes bras et a permis que l’enfant que j’aurais pu conserver plus longtemps fût enlevée à leurs embrassements.

— Comment cela, ma mère ?

— Je vous laissai partir enfant, parce que vous étiez jolie, et que je redoutais votre gentillesse, la regardant comme le sceau de la perversité. Ils m’envoyèrent votre portrait, fait à l’âge de huit ans : ce portrait confirma mes terreurs. S’il m’eût montré un enfant aux traits rustiques, lourds, hébétés et vulgaires, je me serais hâtée de vous réclamer ; mais sous le papier argenté je vis s’épanouir la délicatesse d’une fleur aristocratique ; chacun de vos traits annonçait une petite lady. J’avais trop récemment gémi sous le joug du beau gentleman auquel