Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/429

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le foyer, la fourchette à la main, elle s’acquitta de cette fonction avec dextérité. M. Hall, qui aimait toute innovation aux usages ordinaires, et auquel le grossier gâteau d’avoine semblait, par la force de l’habitude, aussi savoureux que la manne, était dans sa plus belle humeur. Il causait et riait joyeusement, tantôt avec Caroline, qu’il avait placée à son côté, tantôt avec Shirley, puis ensuite avec Louis Moore. Louis monta sa gaieté à l’unisson de celle de M. Hall ; il ne riait pas beaucoup, mais il disait du ton le plus tranquille les choses les plus spirituelles. De graves sentences auxquelles il savait donner un tour inattendu, une saveur et un piquant tout nouveaux, tombaient sans apprêt de ses lèvres. Il prouva qu’il était ce que pensait de lui M. Hall, un compagnon d’agréable société. Caroline était émerveillée de son humeur, mais plus encore de son entière possession de lui-même. Aucune personne présente ne paraissait exercer sur lui la moindre impression de contrainte ; et cependant la froide et fière miss Keeldar était là agenouillée devant le feu, presque à ses pieds.

Mais Shirley n’était plus ni froide, ni fière, du moins en ce moment. Elle ne paraissait pas s’apercevoir de l’humilité de la fonction qu’elle remplissait, ou si elle s’en apercevait, c’était seulement pour y goûter un charme. Son orgueil ne se révoltait nullement de voir le précepteur de son cousin faire partie du cercle pour lequel elle remplissait l’office de servante ; elle n’avait pas la moindre répugnance à lui offrir de ses mains le pain et le lait comme aux autres. De son côté, Moore acceptait de sa main sa portion avec autant de calme que s’il eût été son égal.

« Vous avez trop chaud, maintenant, lui dit-il après qu’elle eût tenu la fourchette pendant quelque temps ; laissez-moi prendre votre place. »

Et il lui prit la fourchette avec une sorte de calme autorité à laquelle elle se soumit passivement, sans lui résister ni le remercier.

« J’aimerais à voir vos peintures, Louis, dit Caroline après que le somptueux goûter fut terminé. Et vous, monsieur Hall ?

— Pour vous faire plaisir, je dirai comme vous ; mais, pour mon compte, j’ai rompu avec lui comme artiste : j’ai eu assez de lui en cette qualité dans le Cumberland et le Westmoreland. Nous avons plus d’une fois attrapé une averse dans les montagnes à cause de son obstination à demeurer assis sur