Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/442

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— On a besoin de vous au salon.

— Non, les gentlemen sont encore à table.

— Ils n’y resteront pas longtemps : sir Philippe Nunnely n’est pas buveur, et je l’entends justement à présent passer de la salle à manger dans le salon.

— C’est un domestique.

— C’est sir Philippe ; je connais son pas.

— Votre ouïe est subtile.

— Elle l’a toujours été, et cette subtilité semble s’être accrue depuis quelque temps. Sir Philippe Nunnely est venu ici prendre le thé hier soir. Je vous ai entendue lui chanter une romance qu’il vous avait apportée. Je l’ai entendu, lorsqu’il est parti, à onze heures, vous appeler dehors pour regarder l’étoile du soir.

— C’est l’état de vos nerfs qui vous rend si sensitif.

— Je l’ai entendu vous baiser la main.

— Impossible !

— Non : ma chambre est au-dessus du vestibule, ma fenêtre donne droit sur la grande porte. Le châssis était levé, car la fièvre m’agitait : vous êtes demeurée dix minutes avec lui sur le seuil ; j’ai saisi chaque mot de votre conversation, et j’ai entendu son salut. Henry, donnez-moi un peu d’eau.

— Laissez-moi la lui donner moi-même, Henry. »

Mais Louis se leva à moitié pour prendre le verre des mains du jeune Sympson, et refusa l’assistance de Shirley.

« Ne puis-je donc rien faire pour vous ?

— Rien ; car vous ne pouvez me garantir une nuit de paisible repos, et c’est tout ce dont j’ai besoin en ce moment.

— Vous ne dormez pas bien ?

— Le sommeil m’a abandonné.

— Et pourtant vous m’avez dit que vous n’étiez pas bien malade ?

— Dans la meilleure santé, j’éprouve souvent l’impossibilité de dormir.

— Si j’en avais le pouvoir, je voudrais vous plonger dans le plus paisible sommeil, profond et calme, sans un rêve.

— Un complet anéantissement ! je ne demande pas cela.

— Avec les rêves de tout ce que vous désirez le plus, alors…

— Monstrueuses illusions ! Le sommeil serait le délire ; le réveil, la mort.