Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/484

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trait en colère mon frère Robert ; toutes ses petites faiblesses, je le sais, seraient pour lui une source d’irritation. Si elles me vexent, c’est de la plus agréable vexation. Je me plais à la trouver en défaut, et, si je demeurais toujours avec elle, je sais qu’elle ne serait pas avare de se prêter à cette satisfaction. Elle donnerait assurément quelque chose à faire, à redresser : un thème pour mes mercuriales de précepteur. Jamais je ne réprimande Henry ; jamais je ne me sens disposé à le faire. S’il fait mal, et c’est très-rare, pauvre excellent garçon ! un mot suffit. Souvent je ne fais même autre chose que de secouer la tête. Mais aussitôt que son minois mutin rencontre mon œil, les mots grondeurs se multiplient sur mes lèvres : d’homme taciturne, je crois qu’elle me transforme en parleur. D’où vient le plaisir que je prends à cette causerie et qui m’étonne quelquefois ? Plus son humeur est fière, méchante, taquine, plus elle me donne occasion de désapprouver, plus je la recherche et plus je l’aime. Jamais elle n’est plus sauvage que lorsqu’elle est revêtue de son habit et de son chapeau d’amazone ; jamais elle n’est moins traitable que lorsque, montée sur Zoé, elle revient de courir avec le vent sur les montagnes ; et cependant je l’avoue, je le confesse ici à cette page muette, il m’est arrivé d’attendre une heure dans la cour la chance d’être témoin de son retour, et celle plus chère de la recevoir dans mes bras en descendant de la selle. J’ai remarqué (c’est encore à cette page seulement que je veux confier cette remarque) qu’elle ne veut permettre à aucun autre que moi de lui prêter cette assistance. Je l’ai vue décliner poliment l’aide de sir Philippe Nunnely. Elle est toujours extrêmement aimable avec le jeune baronnet ; remplie d’égards pour ses sentiments, voire même pour son mesquin amour-propre : je l’ai vue rejeter d’une façon hautaine ceux de M. Sam Wynne. Maintenant je sais, mon cœur le sait, car il l’a senti, qu’elle s’abandonne à moi sans aversion : sait-elle combien j’éprouve de joie à mettre ma force à son service ? Je ne suis pas son esclave, je le déclare, mais mes facultés sont attirées vers sa beauté, comme les génies vers le rayonnement de la Lampe. Tout mon savoir, toute ma prudence, tout mon calme et toute ma force, sont debout devant elle, attendant humblement une tâche. Quel bonheur ils éprouvent lorsque vient un ordre ! Avec quelle joie ils se mettent au labeur qu’elle leur assigne ! Sait-elle cela ? « Je l’ai appelée nonchalante : il est remarquable que sa non-