Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/495

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Bientôt elle ajouta la parole aux regards.

« Je vous respectais, je vous admirais, je vous aimais, dit-elle ; oui, autant que si vous eussiez été mon frère ; et vous, vous avez voulu faire de moi une spéculation ! vous m’immoleriez à cette fabrique, votre Moloch ! »

« J’eus le sens de m’abstenir de toute parole d’excuse, de tout palliatif. Je me résignai à ses reproches.

« Vendu au diable comme je l’étais en ce moment, j’étais certainement fou : lorsque je parlai, que pensez-vous je dis ?

« Quels que fussent mes propres sentiments, j’étais persuadé que vous m’aimiez, miss Keeldar. »

« Admirable ! n’est-ce pas ? Elle s’assit confondue. « Est-ce un homme, ou quelque chose de plus vil ? » l’entendis-je murmurer.

— Voulez-vous dire, demanda-t-elle à haute voix, voulez-vous dire que vous pensiez que je vous aimais comme nous aimons ceux que nous désirons épouser ?

— C’était ma pensée, et je l’ai exprimée.

— Vous aviez conçu une idée injurieuse pour les sentiments d’une femme, répondit-elle ; vous l’avez énoncée d’une manière révoltante pour l’âme d’une femme. Vous insinuez que toute la franche bienveillance que je vous ai montrée a été une manœuvre compliquée, hardie, indécente, pour attraper un mari. Vous voulez dire qu’à la fin vous êtes venu ici par pitié m’offrir votre main, parce que je vous avais courtisé. Laissez-moi vous dire ceci : votre vue est trouble, vous avez mal vu ; votre intelligence est malade, vous avez mal jugé ; votre langue vous trahit, maintenant vous parlez mal. Je ne vous ai jamais aimé. Tranquillisez-vous là-dessus. Mon cœur est aussi pur de passion pour vous que le vôtre est dénué d’affection pour moi. »

« Voilà ce qu’elle me répondit, Yorke.

« Je vous dois sembler bien aveugle et bien infatué, lui dis-je.

— Moi vous aimer ! s’écria-t-elle. Mais, j’ai été aussi franche avec vous qu’une sœur, je ne vous ai jamais évité, je ne vous ai jamais craint. Vous ne pouvez, affirma-t-elle d’un air triomphant, vous ne pouvez me faire trembler avec votre venue, ni accélérer mon pouls par votre présence. »

« J’alléguai que souvent en me parlant elle rougissait, et qu’elle paraissait émue lorsque l’on prononçait mon nom.

« Non à cause de vous ! » me déclara-t-elle brièvement. Je demandai des explications, mais je n’en pus obtenir aucune.