Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/566

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aussi insouciant que ceux d’un petit enfant qui, ne songeant ni à la vie ni à la mort, laisse à ses parents toute la responsabilité de son existence. Moore et William Parren, par l’intermédiaire duquel il avait pris ses informations sur l’état de Phœbé, s’accordèrent à affirmer que la chienne n’avait point la rage : c’étaient seulement les mauvais traitements qui lui avaient fait fuir la maison ; car il fut prouvé que son maître avait l’habitude de la corriger violemment. Leur assertion était ou n’était pas vraie : le groom et le piqueur affirmaient le contraire, disant que, si ce n’était là un cas d’hydrophobie, cette maladie n’existait pas. Mais Moore prêta à ces dires une oreille incrédule ; il ne rapporta à Shirley que ce qui était rassurant. Elle le crut et, à tort ou à raison, il est certain que dans ce cas la morsure fut innocente.

Novembre passa, décembre vint. Les Sympson allaient réellement partir : il était nécessaire qu’ils fussent chez eux à Noël ; leurs bagages étaient préparés, et ils allaient prendre congé dans quelques jours. Un soir d’hiver, pendant la dernière semaine de leur séjour, Louis Moore reprit encore une fois son petit livre et s’entretint avec lui de la manière suivante :



Elle est plus aimable que jamais. Depuis que ce petit nuage a été dissipé, toute consomption temporaire, toute langueur ont disparu. C’était merveilleux de voir avec quelle rapidité elle reprenait son élasticité et refleurissait sous la magique énergie de la jeunesse.

Après déjeuner hier matin, lorsque je l’eus vue, écoutée, et, si je puis parler ainsi, sentie dans chaque atome sensitif de mon être, je passai de sa brillante présence dans la froide salle d’étude. Je pris un petit volume doré sur tranche qui se trouva être un choix de poésies. J’en lus un poëme ou deux : le charme était-il en moi ou dans les vers ? je ne sais ; mais mon cœur se remplit d’une douce chaleur, mon pouls battait plus fort. Je brûlais, malgré l’air glacé. Moi aussi je suis encore jeune ; quoiqu’elle ne m’ait jamais considéré comme un jeune homme, je n’ai que trente ans. Il y a des moments où, par aucune autre raison que ma propre jeunesse, la vie se montre à moi sous de douces couleurs.