Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/575

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des stances fragiles comme des fragments de verroterie ? Quand vous ai-je montré la croyance que ces grains de verre étaient de vrais brillants ?

— Vous pourriez avoir la satisfaction de guider son talent dans des régions plus élevées, d’épurer son goût.

— Guider et épurer ! enseigner et reprendre ! endurer et supporter ! Bah ! mon mari ne sera jamais pour moi un enfant au maillot. La belle occupation vraiment que de lui donner chaque jour sa leçon, veiller à ce qu’il l’apprenne, lui donner une sucrerie s’il est sage, et une patiente et pathétique admonestation s’il est méchant ! Mais c’est d’un précepteur de parler de la satisfaction que procure l’enseignement. Je pense que vous croyez cela le plus agréable passe-temps du monde. Pour moi ce n’est pas la même chose, et je n’en veux pas. Perfectionner un mari ! non. Je veux au contraire que mon mari me rende meilleure, ou nous ne pourrions vivre ensemble.

— Dieu sait si cela est nécessaire !

— Que voulez-vous dire par là, monsieur Moore ?

— Ce que je dis. Le besoin d’amélioration est impérieux.

— Si vous étiez une femme, vous régenteriez fort agréablement monsieur votre mari ; cela vous conviendrait ; instruire et réprimander est votre vocation.

— Puis-je vous demander si, de ce ton simple et aimable, vous avez l’intention de me reprocher ma position de précepteur ?

— Oui, amèrement, et toute autre chose qu’il vous plaira ; tout défaut dont vous vous sentez péniblement convaincu.

— D’être pauvre, par exemple ?

— Oui, cela vous piquera ; la pauvreté, c’est votre point ulcéré ; vous aimez à revenir dessus.

— De n’avoir qu’une très-laide personne à offrir à la femme qui pourrait se rendre maîtresse de mon cœur ?

— Précisément. Vous avez l’habitude de vous appeler laid. Vous êtes très-sensible à la coupe de vos traits, parce qu’ils ne sont pas tout à fait taillés sur ceux de l’Apollon. Vous les critiquez plus qu’il n’est nécessaire, dans l’espoir que d’autres diront un mot en leur faveur, ce qui n’a pas lieu. Votre visage n’a assurément rien dont vous puissiez tirer vanité. On n’y trouve aucune jolie ligne, aucune jolie teinte.

— Comparez-le au vôtre.

— Il ressemble à celui d’un dieu égyptien ; à quelque grande