Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/578

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ment. Je n’étais ni écrasé ni enorgueilli par ses terres et son or. Je n’y pensais pas, je ne m’en souciais nullement. Elles n’étaient pour moi que des scories incapables de m’éblouir. Je ne vis qu’elle-même, sa jeune et belle forme, la grâce, la majesté, la modestie de la jeune fille.

« Mon élève ! lui dis-je.

— Mon maître, répondit-elle d’une voix faible.

— J’ai une chose à vous dire. »

Elle attendit le front baissé, le visage voilé par ses cheveux.

« J’ai à vous dire que pendant quatre années vous avez grandi dans le cœur de votre précepteur, et que vous y êtes enracinée maintenant. J’ai à vous déclarer que vous m’avez ensorcelé, en dépit de ma raison et de mon expérience, de la différence de position et de fortune, avec votre air, vos paroles, votre démarche. Vous m’avez montré sous un tel aspect vos défauts et vos vertus, vos beautés plutôt, car elles n’ont guère la sévérité ordinaire des vertus, que je vous aime, que je vous aime de toute ma vie et de toutes mes forces. Voilà tout. »

Elle chercha quelque chose à dire, mais elle ne trouva pas une parole. Elle voulut railler, mais en vain. Je lui répétai passionnément que je l’aimais.

« Eh bien, monsieur Moore, quoi donc ? »

Ce fut la seule réponse que j’obtins, prononcée d’un ton qui eût été pétulant, s’il n’eût été mal assuré.

« N’avez-vous rien à me dire ? n’avez-vous aucun amour pour moi ?

— Un peu.

— Je ne veux pas être torturé ; je ne veux pas même être plaisanté à présent.

— Je ne désire pas plaisanter, je désire m’en aller.

— Je m’étonne que vous osiez parler de vous en aller en ce moment. Vous partir ! avec mon cœur dans votre main, pour le placer sur votre toilette et le percer avec vos épingles ? Vous ne bougerez pas de ma présence ; vous ne vous éloignerez pas de mon atteinte avant que je n’aie un otage, gage pour gage, votre cœur pour le mien.

— L’objet que vous demandez est égaré, perdu depuis quelque temps : laissez-moi l’aller chercher.

— Déclarez qu’il est où sont souvent vos clefs, en ma possession.

— Vous devez le savoir. Et où sont mes clefs, monsieur Moore : vraiment, je les ai perdues de nouveau ; mistress Gill