Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/662

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

papa n’aurait pas dû m’apprendre cela ; c’est de lui que j’ai retenu tout cela, et peut-être un peu du cocher. »

Son frère John, alias M. Murray, avait environ onze ans lorsque j’entrai dans la famille. C’était un beau garçon, fort et plein de santé, franc et d’une bonne nature, et qui eût fait un charmant sujet s’il avait été convenablement élevé ; mais pour le moment il était aussi peu civilisé qu’un jeune ourson, bouillant, turbulent, indocile, ne sachant rien et ne pouvant rien apprendre, surtout d’une gouvernante et sous les yeux de sa mère. Ses maîtres au collège en tirèrent peut-être meilleur parti, car il fut envoyé au collège, à mon grand soulagement, dans le courant de l’année. Il y entra, il est vrai, dans un scandaleux état d’ignorance quant au latin, aussi bien que pour une foule de choses plus utiles, quoique plus négligées, et cela, sans nul doute, fut rejeté sur le défaut de sa première éducation, confiée à une femme ignorante qui avait trop présumé de ses forces, et avait entrepris d’enseigner ce qu’elle ne savait pas elle-même. Je ne fus délivrée que douze mois plus tard de son frère, qui fut aussi expédié au collège, dans le même état d’ignorance que le premier.

M. Charles était particulièrement l’enfant gâté de sa mère. Il était plus jeune que son frère d’un peu plus d’une année, mais était beaucoup plus petit, plus pâle, moins actif et moins robuste. C’était un méchant, couard, capricieux et égoïste petit bonhomme, actif seulement à faire le mal, habile seulement à inventer des mensonges, non toujours pour cacher ses fautes, mais par pure méchanceté et pour mieux nuire aux autres. Dans le fait, M. Charles était un grand tourment pour moi : il fallait une patience d’ange pour vivre en paix avec lui ; veiller sur lui était pire encore, et lui apprendre quelque chose, ou prétendre lui apprendre quelque chose, était chose impossible. À dix ans, il ne pouvait lire correctement une ligne dans le livre le plus simple ; et comme, d’après le principe de sa mère, je devais lui dire chaque mot avant qu’il eût le temps d’hésiter et d’examiner l’orthographe, comme il m’était même interdit, pour le stimuler, de lui dire que les autres garçons de son âge étaient ordinairement plus avancés que lui, il n’y a rien d’étonnant qu’il n’eût fait que peu de progrès pendant les deux ans que je fus chargée de son éducation. Il fallait lui répéter ses petites leçons de grammaire latine et autres, jusqu’à ce qu’il dît qu’il les savait, puis ensuite l’aider à les réciter ; s’il faisait des erreurs dans ses pe-