Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/727

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des questions auxquelles le lecteur serait bien embarrassé de répondre, déduire des arguments qui pourraient choquer ses préjugés ou peut-être provoquer sa raillerie, parce qu’il ne pourrait les comprendre ; mais je m’arrête.

Revenons maintenant à miss Murray. Elle accompagna sa mère au bal du mardi, splendidement parée, et enchantée d’elle-même, tout naturellement. Comme Ashby-Park était à près de dix milles de distance d’Horton-Lodge, elles devaient partir d’assez bonne heure, et j’avais formé le projet de passer la soirée avec Nancy Brown, que je n’avais pas vue depuis quelque temps ; mais ma bonne élève fit en sorte que je ne pusse la passer ailleurs que dans la salle d’étude, en me donnant à copier un morceau de musique qui me tint occupée jusqu’à l’heure du coucher. Vers onze heures, le lendemain, aussitôt qu’elle eut quitté sa chambre, elle vint me dire les nouvelles. Sir Thomas s’était en effet déclaré pendant le bal ; événement qui donnait raison à la sagacité de sa mère, sinon à son talent de mener les choses. J’incline à penser qu’elle avait d’abord préparé ses plans, et ensuite prédit leur succès. L’offre avait été acceptée, et le fiancé devait venir le jour même tout régler avec M. Murray.

Rosalie se réjouissait à la pensée de devenir maîtresse d’Ashby-Park ; elle pensait à la cérémonie nuptiale, à la splendeur et à l’éclat qui l’entoureraient, à la lune de miel passée à l’étranger, et aux plaisirs dent elle jouirait ensuite à Londres et ailleurs. Elle paraissait même pour le moment assez contente de sir Thomas lui-même, parce qu’elle l’avait vu si récemment, avait dansé avec lui, avait été flattée par lui. Mais pourtant elle semblait reculer devant l’idée de lui être sitôt unie ; elle eût voulu que la cérémonie fût différée au moins de quelques mois, et moi je l’aurais voulu aussi. Cela me semblait chose horrible que de précipiter ce funeste mariage, et de ne pas donner à cette pauvre créature le temps de penser et de réfléchir sur le parti irrévocable qu’elle allait prendre. Je n’avais aucune prétention à la « sollicitude vigilante et anxieuse de mère, » mais j’étais effrayée de l’insensibilité de mistress Murray, de son insouciance à propos du bien réel de son enfant, et par mes avertissements et mes exhortations, je m’efforçai vainement de remédier au mal. Miss Murray ne faisait que rire de mes paroles ; et je ne tardai pas à découvrir que sa répugnance pour une union immédiate venait du désir qu’elle