Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/732

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des faussetés ou des exagérations, des choses indignes de lui et flatteuses pour elles, surtout pour miss Murray. Je brûlais de les contredire, ou au moins d’exprimer mes doutes, mais je ne l’osais pas, de peur de montrer l’intérêt qui me faisait agir. J’entendais aussi d’autres choses que je sentais ou craignais être trop vraies ; mais il me fallait cacher les anxiétés que j’éprouvais à cause de lui, mon indignation contre elles, sous un air insouciant ; souvent aussi, entendant de simples allusions à ce qui avait été dit et fait, j’aurais bien voulu en apprendre davantage, mais je n’osais interroger. Ainsi passait le temps. Je ne pouvais même me consoler en disant : « Elle sera bientôt mariée ; alors j’aurai peut-être de l’espoir. »

Aussitôt après le mariage, en effet, viendraient les vacances ; et quand je reviendrais de la maison, très-probablement M Weston serait parti, car on disait que lui et le recteur ne pouvaient s’entendre (par la faute du recteur, naturellement), et qu’il était sur le point d’aller ailleurs exercer son ministère.

Ma seule consolation, outre mon espérance en Dieu, était de penser que, quoiqu’il n’en sût rien, j’étais plus digne de son amour que Rosalie Murray, si charmante et si engageante qu’elle fût ; car j’étais prête à donner ma vie pour contribuer à son bonheur, tandis qu’elle eût sans pitié détruit ce même bonheur pour donner satisfaction à sa vanité, « Oh ! s’il pouvait connaître la différence de nos cœurs ! m’écriais-je quelquefois. Mais non, je n’oserais lui laisser voir le mien. Pourtant, s’il pouvait connaître seulement combien elle est frivole, indigne et égoïste, il serait sans danger contre ses séductions, et je serais presque heureuse, dussé-je même ne pas le revoir. »

Je crains bien que le lecteur ne soit ennuyé de la folie et de la faiblesse que je viens d’étaler si librement sous ses yeux. Je ne les laissai jamais voir alors, et ne les aurais jamais racontées même à ma mère ou à ma sœur. J’étais une dissimulée profonde et résolue, en cela du moins. Mes prières, mes pleurs, mes espérances, mes craintes, mes lamentations, n’étaient vus que de moi et de Dieu.

Quand nous sommes tourmentés par le chagrin ou les inquiétudes, ou longtemps oppressés par un sentiment puissant que nous devons concentrer en nous, pour lequel nous ne pouvons obtenir ni chercher aucune sympathie de nos semblables, et que pourtant nous ne voulons ou ne pouvons entièrement