Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/739

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nais les avantages d’une place comme celle-ci pour une jeune personne dans votre situation, et je n’ai nul désir de me séparer de vous, certaine que je suis que vous pourriez faire très-bien, si vous vouliez penser à ce que je viens de vous dire et vous donner un peu plus de peine. Je suis convaincue que vous auriez bientôt acquis ce tact délicat qui seul vous manque pour avoir une influence convenable sur l’esprit de votre élève. »

J’allais donner à cette lady une idée de la fausseté de ses espérances, mais elle s’enfuit aussitôt qu’elle eut terminé sa tirade. Elle m’avait dit ce qu’elle voulait me dire, et attendre ma réponse ne faisait point partie de son plan : mon rôle était d’écouter, non de parler.

Cependant, comme je l’ai dit, Mathilde, à la fin, céda jusqu’à un certain point à l’autorité de sa mère (pourquoi cette autorité ne s’est-elle exercée plus tôt ?) et étant ainsi privée de presque tous ses sujets d’amusements, elle ne pouvait tuer le temps qu’en faisant de longues courses à cheval avec le groom, de longues promenades à pied avec la gouvernante, et en visitant les cottages et les fermes du domaine de son père. Dans une de ces promenades, nous eûmes la chance de rencontrer M. Weston. C’était ce que j’avais longtemps désiré ; mais, pendant un moment, je souhaitai que nous ne l’eussions pas rencontré ; je sentais mon cœur battre si violemment, que je craignais de laisser apparaître quelque émotion intérieure ; mais je crois qu’il me regarda à peine, et je devins bientôt calme. Après une brève salutation à toutes deux, il demanda à Mathilde si elle avait eu récemment des nouvelles de sa sœur.

« Oui, répondit-elle, elle était à Paris lors de sa dernière lettre ; elle va très-bien, et elle est très-heureuse. »

Elle prononça ce dernier mot avec emphase, et avec un regard impertinemment rusé. Il ne parut pas y faire attention, mais répondit avec une égale emphase et très-sérieusement :

« J’espère que son bonheur durera.

— Pensez-vous que ce soit probable ? me hasardai-je à demander ; car Mathilde était partie à la suite de son chien qui chassait un levraut.

— Je ne puis le dire, répondit-il. Sir Thomas peut être un meilleur homme que je ne le suppose ; mais d’après tout ce que j’ai entendu et vu, il me semble malheureux qu’une jeune fille si jeune et si gaie, si intéressante, pour exprimer plusieurs choses d’un seul mot, dont le plus grand, sinon le seul défaut, parais-