Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/741

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— Pauvre petite bête ! Qu’en voulez-vous faire ?

— Venez, je le laisserai à la première maison où nous entrerons. Je ne veux pas l’emporter, de peur que papa ne me gronde pour avoir laissé le chien le tuer. »

M. Weston était parti, et nous continuâmes notre chemin ; mais en revenant, après avoir déposé le lièvre dans une ferme, en échange d’un peu de gâteau d’épice et de vin de groseille, nous le rencontrâmes au retour de sa mission, quelle qu’elle pût être. Il portait à la main un beau bouquet de campanules qu’il m’offrit, me disant avec un sourire que, quoiqu’il m’eût vue si peu pendant les deux derniers mois, il n’avait pas oublié que les campanules étaient au nombre de mes fleurs favorites. Cela fut fait comme un simple acte de bienveillance, sans compliments ou courtoisie remarquables, sans aucun regard qui pût être pris pour de « la respectueuse et tendre adoration ; » mais pourtant c’était quelque chose, que de trouver qu’il se fût si bien souvenu d’une de mes paroles, si peu importante ; c’était quelque chose de savoir qu’il avait remarqué avec tant d’exactitude le temps où j’avais cessé de paraître à sa vue.

« L’on m’a dit, miss Grey, que vous dévorez les livres, et vous vous absorbez si complètement dans vos études, que vous êtes perdue pour tout autre plaisir.

— Oui, et c’est très-vrai ! s’écria Mathilde.

— Non, monsieur Weston, ne croyez pas cela ; c’est un scandaleux mensonge. Ces jeunes ladies aiment trop à faire des assertions à tort et à travers aux dépens de leurs amis ; et vous devez vous montrer très-circonspect en les écoutant.

— J’espère que cette assertion est sans fondement, dans tous les cas.

— Pourquoi ? avez-vous quelque objection sérieuse à ce que les ladies étudient ?

— Non ; mais j’en ai une à ce qu’elles étudient au point de perdre de vue toute autre chose. Excepté dans des circonstances spéciales, je considère une étude très-constante comme une perte de temps, et comme nuisible à l’esprit aussi bien qu’au corps.

— Je n’ai ni le temps ni l’inclination de commettre de tels méfaits. »

Nous nous séparâmes de nouveau.

Eh bien ! qu’y a-t-il de remarquable dans tout cela ? Pourquoi l’ai-je rapporté ? Parce que, lecteur, c’était assez important pour me donner une soirée joyeuse, une nuit de rêves agréables