Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/756

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si longtemps négligée, m’assurant qu’elle ne m’avait pas oubliée, qu’elle avait souvent eu l’intention de m’écrire, etc., etc., mais qu’elle en avait toujours été empêchée par quelque chose. Elle reconnaissait qu’elle avait mené une vie très-dissipée, et que je pourrais la croire très-méchante et très-oublieuse ; que cependant elle pensait beaucoup à moi, et désirait surtout fort me revoir. « Il y a déjà plusieurs jours que nous sommes ici, m’écrivait-elle. Nous n’avons aucun ami auprès de nous et nous sommes menacés d’une vie fort triste. Vous savez que je n’ai jamais eu beaucoup de goût pour vivre avec mon mari comme deux tourterelles dans un nid, fût-il la plus délicieuse créature qui eût jamais porté un habit ; ayez donc pitié de moi et venez. Je suppose que vos vacances d’été commencent en juin, comme celles de tout le monde ; vous ne pouvez donc prétexter le défaut de temps. Vous devez venir et vous viendrez, car je mourrai si vous ne venez pas. Je veux que vous me visitiez en amie et que vous demeuriez longtemps. Il n’y a personne avec moi, ainsi que je vous l’ai déjà dit, que sir Thomas et la vieille lady Ashby ; mais vous ne devez pas vous occuper d’eux : ils ne vous troubleront guère avec leur compagnie. Vous aurez une chambre à vous, où vous pourrez vous retirer, et beaucoup de livres à lire, quand ma société ne vous semblera pas suffisamment amusante. J’ai oublié si vous aimez les enfants ; si vous les aimez, vous aurez le plaisir de voir le mien, le plus charmant du monde, assurément ; et d’autant plus charmant que je n’ai pas l’ennui de le nourrir, car je n’aurais pu me résoudre à cela. Malheureusement c’est une fille, et sir Thomas ne me l’a jamais pardonné ; mais, pourtant, si vous voulez venir, je vous promets que vous serez sa gouvernante aussitôt qu’elle pourra parler : vous pourrez l’élever comme elle doit l’être et faire d’elle une meilleure femme que ne l’est sa mère. Vous verrez les deux tableaux que j’ai rapportés d’Italie, tableaux de grande valeur ; j’ai oublié le nom de l’artiste. Vous leur découvrirez sans doute de grandes beautés que vous me ferez remarquer, et que je n’admire que d’après ouï-dire ; vous verrez en outre beaucoup d’élégantes curiosités que j’ai achetées à Rome et ailleurs, et enfin vous verrez ma nouvelle maison, le splendide manoir et le parc que je convoitais tant. Hélas ! combien l’espoir de posséder l’emporte quelquefois sur le plaisir de la possession ! Voilà un beau sentiment ! Je vous assure que je suis tout à fait devenue une grave matrone ; je