Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/778

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— Sérieusement ! Pouvez-vous penser que je plaisanterais sur un pareil sujet ? »

Il plaça sa main sur la mienne qui reposait sur son bras ; il dut la sentir trembler.

« J’espère n’avoir pas été trop précipité, dit-il avec calme. Vous avez dû voir qu’il n’est pas dans mes habitudes de flatter, de dire de tendres bagatelles, ni même d’exprimer toute l’admiration que j’éprouve, et qu’un simple mot ou un regard de moi en disent plus que les phrases meilleures et les protestations plus ardentes de beaucoup d’autres hommes. »

Je dis quelque chose sur le regret que j’aurais de quitter ma mère, et mon intention de ne rien faire sans son consentement.

« J’ai tout arrangé avec votre mère pendant que vous mettiez votre chapeau, répondit-il. Elle m’a dit que j’avais son consentement si je pouvais obtenir le vôtre. Je lui ai demandé, dans le cas où je serais assez heureux pour être agréé de vous, de venir habiter avec nous, car j’étais sûr que cela vous ferait plaisir. Mais elle a refusé, disant qu’elle pouvait maintenant employer une aide, et continuerait son école jusqu’à ce qu’elle pût acheter une annuité suffisante pour vivre confortablement chez elle ; qu’en attendant, elle passerait ses vacances alternativement avec nous et avec votre sœur, et serait très-contente de nous voir heureux. J’ai donc levé toutes vos objections à propos de votre mère ; en avez-vous d’autres ?

— Non, aucune !

— Vous m’aimez donc ? dit-il en me pressant tendrement la main.

— Oui. »


*


Je m’arrête ici. Mon journal, dans lequel j’ai recueilli la matière de ces pages, ne va guère plus loin. Je pourrais passer en revue encore plusieurs années de ma vie ; mais je me contenterai de dire en finissant que je n’oublierai jamais cette belle soirée d’été, que je me souviendrai toujours avec plaisir de cette colline abrupte, du bord de ce précipice où nous nous tenions tous deux, regardant le splendide soleil couchant réfléchi dans l’onde calme à nos pieds ; nos cœurs remplis de reconnaissance envers le ciel, et débordant de bonheur et d’amour au point de ne pouvoir parler.