Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/94

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Qui a lu la ballade de Puir Mary Lee, cette vieille ballade écossaise, écrite je ne sais sous quelle génération ni par quel auteur ? Mary a été trompée. Elle ne se plaint pas, mais elle est seule, assise sur la neige, et vous entendez ses pensées. Ce ne sont pas les pensées d’une héroïne de roman, mais celles d’une fille des champs, profondément sensible et pleine de ressentiment. Le désespoir lui a fait quitter le coin de son feu pour les montagnes couvertes de neige et de glace. Couchée au milieu des tourbillons, l’horreur sous ses formes les plus fantastiques s’offre à son imagination : l’aspic à ventre jaune, la vipère hérissée, les chiens aboyant à la lune, les fantômes errants le soir, le lait qui suinte sur le dos du crapaud et autres bizarres visions du cauchemar, elle abhorre tout cela, mais plus encore le perfide Robin-a-Ree.

Oh ! combien autrefois, auprès d’un gai ruisseau,
Là-bas j’étais heureuse, et des bons cœurs chérie !
Aujourd’hui, sur la neige où j’attends un tombeau,
Je sanglote et maudis le noir Robin-a-Ree !

Accourez, vents glacés, rafales, tourbillons,
Secouez les forêts, couvrez tout d’épais voiles !
Que la neige, sur moi refermant ses sillons,
Dérobe pour toujours à mes yeux les étoiles !

Oh ! ne fondez jamais, blanc et chaste manteau
Qui bientôt couvrirez la pauvre Mary Lee :
Gardez-la du mépris, dans ce glacé tombeau,
D’infâmes suborneurs comme Robin-a-Ree !

Mais ce que nous venons de dire ne se rapporte point aux sentiments de Caroline Helstone, ni à l’état des choses entre elle et Robert Moore. Il ne l’avait point trompée ; s’il y avait quelqu’un à blâmer, c’était elle. Le fiel qu’eût distillé son cœur serait monté amèrement à sa bouche. Elle avait donné son amour, mais sans qu’il lui fût demandé ; hasard naturel et quelquefois inéluctable, mais gros de malheur.

Robert, il est vrai, avait quelquefois paru l’aimer ; mais pourquoi ? Parce qu’elle avait déployé tant d’attraits, qu’il n’avait pu, malgré tous ses efforts, maîtriser des sentiments que son jugement ne pouvait approuver. Il allait probablement rompre toute communication intime avec elle, parce qu’il craignait de laisser son cœur s’engager dans une affection inextricable, ou de se voir entraîné, en dépit de sa raison, dans un mariage qu’il