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DE PHILIPPE

t’a dit de marcher droit… Ton père te répète de ne pas regarder par-dessus tes lunettes (Philippe portait des lunettes à cinq ans).

Philippe faisait ce qu’on lui disait, assuré qu’on l’oublierait aussitôt.

De fait, on l’avait oublié, et ce n’est qu’à huit ans qu’il commença ses classes. Le docteur faisait de grands discours sur l’éducation. Il avait acheté une méthode pour apprendre à lire, la tante Bertha s’en était chargée tant bien que mal, et il n’en parla plus jusqu’au moment qu’il arriva avec un psautier de David : il voulait mettre tout de suite son fils au latin. Cela ne dura que l’espace d’une soirée, le temps pour le père de lire à haute voix avec sa vieille prononciation latine la moitié des psaumes :

— Rien de plus beau que les psaumes.

La tante Bertha resta sous l’impression que le cousin Joseph savait le latin.

Jusqu’à quinze ans, Philippe n’eut pas de camarades. Il écoutait ses maîtres et s’intéressait à leurs leçons : l’école, le collège étaient pour lui le monde, le voyage, l’évasion. Il n’avait plus à souffrir de la timidité des autres, il n’étouffait que dans sa propre timidité. Cependant, il ne se liait pas, et il voyait toujours venir avec angoisse les récréations. Si le maître permettait, un quart d’heure, à toute la classe de causer, ce qui arrivait parfois, aussitôt, Philippe demandait la « permission de s’absenter » et, revenant, il restait près de la