Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/38

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
DE PHILIPPE

mait une cigarette, fixait les gravures du mur qu’il ne regardait jamais, s’arrêtait :

— Venise, Venise, ça ne doit pas être comme ça… De l’eau pourrie, une odeur de cave…

Il reprenait son Baudelaire :

Grands bois, vous m’effrayez comme des cathédrales…

Baudelaire a trop de mauvais romantisme… Un bois, ça ne ressemble pas à une cathédrale…

Répondent les échos de vos De profundis

Il vit alors que son père était mort… Il était mort depuis une semaine, et au souvenir de sa voix, il ressentait comme un arrachement, comme si on faisait le vide dans tout son corps. Il eut honte : « Je ne vais pas m’attendrir, parce que mon père meurt… Je n’avais rien de commun avec ce médecin, de littéraire si vulgaire… », puis il eut honte de n’avoir pas de peine, et l’attendrissement vaniteux mouilla ses yeux. Il imagina des scènes sentimentales. Au service, il se tiendrait tout droit, les yeux fixes, et les gens diraient : « Ils ne s’entendaient pas, mais c’était un bon fils ». Alors, des banalités lui montaient à la gorge et il s’entendait dire, d’une voix grave, la voix de son père emphatique : « Vous ne savez pas ce qu’est un père… »

Pourtant, d’autres remords se faisaient jour : « Si je ressemblais à cet homme. Il aime la mauvaise poésie ; j’aime peut-être aussi la mauvaise poésie… » Philippe se rappelait qu’il avait lui-même presque pleuré en lisant des ro-