Page:Brunet - Les hypocrites (1) - La folle expérience de Philippe, 1945.pdf/46

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LA DÉFAITE DU VAINQUEUR

Dufort eut sa revanche, sa pleine et entière revanche. C’est à cette époque, dans ces sentiments mêlés, qu’il aima le plus Philippe : il l’aimait comme un inférieur qu’on a le plaisir de hausser jusqu’à soi. L’orgueil est un personnage amusant : il veut avoir la fortune pour la jeter aux pieds de celui qu’il veut humilier.

Dufort, son père mort, était devenu avare. C’était de la timidité, il tenait son bien serré sur lui, parce qu’il savait qu’il n’était pas de force à le défendre. Il le gardait aussi serré sur lui, parce qu’il savait que Philippe était prodigue, tête folle, et qu’il voulait en conserver pour les vieux jours de Philippe, pour venir en aide à l’unique ami de son orgueilleuse timidité.

Il s’était marié, et, sans pudeur, en rougissant néanmoins (ce lui était pénible, mais son amitié ne voulait rien cacher à Philippe) il lui contait ses intimités conjugales. Jaloux, il voulait à la fois sa femme pour lui et en passer quelques reliefs, surtout la garder pour Philippe, pour un jour lointain. S’il s’était analysé, il aurait constaté, bien qu’il eût une peur extrême de la mort, ce rêve inconscient de mourir avant Philippe pour qu’il épouse sa veuve.

Dufort n’avait pas de plaisirs qu’il ne voulût partager avec Philippe. Il lui donnait jusqu’aux