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LA FOLLE EXPÉRIENCE

lippe, ouvrit une bouche édentée sur un sourire poli, qui le fit reculer.

Philippe bâtissait des romans sur ces amours répugnantes, il les comparait à ses romans, et puis n’y pensait plus. Il pressentait un drame cependant, qui se mêlait au drame qu’il pressentait pour lui : Philippe, qui ne vécut jamais que dans l’égoïsme le plus entier, pour se reposer, vivait parfois la vie des autres et leur donnait toujours les couleurs de la sienne. Cet homme qui n’existait qu’au présent se perdait sans cesse dans un roman. Puis il n’y pensait plus.

Philippe savait donc, par les bruits qui couraient, que les affaires du dentiste devenaient de moins en moins brillantes, et il n’aurait pas été surpris que ce voluptueux mesquin se suicidât un jour ou l’autre : Philippe en rêvait-il pour ne pas rêver à son propre suicide, rendu impossible, parce qu’il s’était arrêté une première fois et qu’il avait eu peur ? Ce fut le frère, le Patron. Rien ne faisait présager ça. Marié à une femme qui le trompait, il avait enfin obtenu son divorce, coupant tous les ponts : sa clientèle cléricale ne lui avait pas failli tout de suite. Il la tenait par je ne sais quels rabais et quels contrats, et il ne faisait qu’une chose pour sauver les apparences, il faisait recevoir à sa place par son factotum, Laurent, un rat d’église. On sentait pourtant que cela ne pouvait durer longtemps, bien qu’on ne connût pas avec précision les affaires du courtier. Il y avait de