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L’ÉVOLUTION DES GENRES.

autant qu’elle leur a donné. Puis-je vous parler de l’Essai sur les mœurs avant de vous parler de l’Esprit des lois ? puis-je vous parler de Candide avant de vous parler de la Lettre sur la Providence ? et généralement, ce qu’il y a de successif dans l’œuvre de Voltaire, puis-je vous en parler comme si Voltaire avait écrit en dehors, pour ainsi dire, et au-dessus de la chronologie ? Tout de même ici, quelque intérêt qu’il y eût à épuiser ce que nous avons à dire de Mme de Staël, si cependant le livre de la Littérature a été comme absorbé dans le rayonnement du Génie du christianisme, et si le Génie du christianisme a certainement exercé quelque influence sur le livre de l’Allemagne, je ne puis vous parler du troisième avant de vous parler du second ; et pour reparler de Mme de Staël il faut que nous ayons auparavant parlé de Chateaubriand.

Vous avez tous lu, je le suppose, le Génie du christianisme, et si vous ne l’avez pas lu, je vous invite à vous empresser de le lire. C’est ce que l’on eût appelé jadis un livre essentiel ; et, nous pouvons le dire au bout de quatre-vingt-dix ans — quatre-vingt-huit, pour être tout à fait exact, — nous pouvons le dire avec sécurité, c’est un beau livre, c’est un grand livre. Il est plein de défauts, de vrais défauts ou, mieux encore, de véritables trous, mais c’est un grand livre ; et Sainte-Beuve — que son Port-Royal eût pourtant dû préserver de toute jalousie — y a usé ses dents. Le Génie du christianisme ouvrira toujours l’histoire littéraire du xixe siècle ; il sera toujours l’œuvre de l’un des plus grands écrivains de la langue française ; il comptera toujours parmi les monuments de l’apo-