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grande étendue du globe terrestre est beaucoup moins facilement modifié ; il offre des caractères pour ainsi dire moyens, tandis que les animaux très sédentaires et les plantes, les espèces isolées dans une région limitée offrent des caractères beaucoup plus tranchés.

Conclusion. Je ne veux pas davantage insister sur les questions relatives à l’origine des espèces[1] ; je me borne à attirer l’attention du lecteur sur le rôle considérable qu’a joué Buffon dans leur solution.

Quant à cette dernière, je puis maintenant la résumer en quelques mots : il n’y a dans la nature que des individus ; les espèces, les genres, les familles, les classes ne sont que des divisions artificielles, destinées à nous permettre d’ordonner nos connaissances ; la matière vivante est produite par transformation de la matière non vivante ; sa forme la plus rudimentaire est reliée à ses formes les plus élevées par une série indéfinie de formes intermédiaires, issues les unes des autres par transformations graduelles et dans des directions multiples ; chaque organisme hérite des caractères de ses ancêtres et s’adapte au milieu dans lequel il vit ; l’action de l’hérédité et celle de l’adaptation se combinent pour produire les caractères de chaque individu. Me reportant à la théorie mécanique des phénomènes biologiques dont il a été fait mention tant de fois dans cette étude, j’ajouterais volontiers : les atomes constituants de chaque individu sont doués d’un mouvement hérité qui se modifie et se transforme sous l’influence des mouvements atomiques des corps avec lesquels l’animal ou le végétal se trouve en rapport pendant le cours de son existence ; la résultante du mouvement hérité et du mouvement provoqué par le milieu constitue l’adaptation et l’individualité du végétal ou de l’animal.

Que sont en réalité les mouvements biologiques ? De quelle façon se modifient-ils ? Quels sont leurs rapports avec les mouvements des autres corps matériels ? Quels sont les liens qui unissent les unes avec les autres, les innombrables parties de cet univers ? Comment le mouvement calorique, lumineux, électrique, biologique, se transforment-ils l’un en l’autre ? Ce sont là autant de questions auxquelles il serait téméraire de faire une réponse. Mais la science est assez avancée pour qu’il nous soit permis d’affirmer que ces deux termes : matière et mouvement contiennent tous les éléments de la solution des problèmes les plus compliqués de la science.

Certes, la solution de la plupart des questions débattues par notre siècle est encore loin de nous ; mais c’est surtout dans le domaine de la science que la fortune a toujours favorisé les efforts de l’audace, et je crois ne pouvoir mieux terminer cette étude sur l’œuvre de Buffon qu’en reproduisant ici l’encouragement aux audacieux qu’il signait il y a plus de cent ans[2] : « Loin de se décourager, le philosophe doit applaudir à la nature, lors même qu’elle lui

  1. Je les ai toutes discutées avec le plus grand soin, et, j’ose ajouter, avec autant d’impartialité que d’indépendance dans mon livre : Le Transformisme.
  2. Buffon, t. IV, p. 523.