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là le premier moment de la naissance possible de la nature vivante. Jusqu’alors les éléments de l’air et de l’eau étaient encore confondus, et ne pouvaient se séparer ni s’appuyer sur la surface brûlante de la terre, qui les dissipait en vapeurs ; mais dès que cette ardeur se fut attiédie, une chaleur bénigne et féconde succéda par degrés au feu dévorant qui s’opposait à toute production, et même à l’établissement des éléments ; celui du feu, dans ce premier, s’était pour ainsi dire emparé des trois autres ; aucun n’existait à part : la terre, l’air et l’eau pétris de feu et confondus ensemble, n’offraient, au lieu de leurs formes distinctes, qu’une masse brûlante environnée de vapeurs enflammées : ce n’est donc qu’après trente-sept mille ans que les gens de la terre doivent dater les actes de leur monde, et compter les faits de la nature organisée.

Il faut rapporter à cette première époque ce que j’ai écrit de l’état du ciel dans mes Mémoires sur la température des planètes. Toutes au commencement étaient brillantes et lumineuses ; chacune formait un petit soleil[1], dont la chaleur et la lumière ont diminué peu à peu et se sont dissipées successivement dans le rapport des temps, que j’ai ci-devant indiqué, d’après mes expériences sur le refroidissement des corps en général, dont la durée est toujours à très peu près proportionnelle à leurs diamètres, et à leur densité[2].

Les planètes, ainsi que leurs satellites, se sont donc refroidies les unes plus tôt et les autres plus tard ; et, en perdant partie de leur chaleur, elles ont perdu toute leur lumière propre. Le soleil seul s’est maintenu dans sa splendeur, parce qu’il est le seul autour duquel circulent un assez grand nombre de corps pour en entretenir la lumière, la chaleur et le feu.

Mais sans insister plus longtemps sur ces objets, qui paraissent si loin de notre vue, rabaissons-la sur le seul globe de la terre. Passons à la seconde époque, c’est-à-dire au temps où la matière qui le compose, s’étant consolidée, a formé les grandes masses de matières vitrescibles.

Je dois seulement répondre à une espèce d’objection que l’on m’a déjà faite sur la très longue durée des temps. Pourquoi nous jeter, m’a-t-on dit, dans un espace aussi vague qu’une durée de cent soixante-huit mille ans ? car, à la vue de votre tableau, la terre est âgée de soixante-quinze mille ans, et la nature vivante doit subsister encore pendant quatre-vingt-treize mille ans : est-il aisé, est-il même possible de se former une idée du tout ou des parties d’une aussi longue suite de siècles ? Je n’ai d’autre réponse que l’exposition

  1. Jupiter, lorsqu’il est le plus près de la terre, nous paraît sous un angle de 59 ou 60 secondes ; il formait donc un soleil dont le diamètre n’était que trente et une fois plus petit que celui de notre soleil.
  2. Voyez le premier et le second Mémoires sur le progrès de la chaleur, p. 82 et 97. Voyez aussi les Recherches sur la température des planètes, p. 347 et 428.