Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
118
CHRONIQUES

le cœur de M. Papineau. Le premier nom que les enfants apprenaient à l’école, c’était le sien ; on le savait avant de rien connaître de notre histoire. Il était devenu une tradition et comme la légende d’un temps qui grandissait à mesure qu’il s’éloignait : lui-même, dans la retraite où il cherchait en vain à être oublié, grandissait sans cesse à l’horizon de l’histoire et dominait ce passé orageux qui n’est plus qu’un souvenir. Les flots s’étaient apaisés autour de cet écueil géant qui n’était plus entouré que de l’auréole de la gloire.

Il semblait immortel, tant la nature avait mis en lui de vigueur indomptable, d’inépuisable jeunesse. Il avait survécu à tout, aux choses et aux hommes de son temps, et il avait survécu, non pas comme une épave, non pas comme un triste débris de la vieillesse chagrine, maladive, mais avec toute la verdeur et la force de ses trente ans, droit, vigoureux, imposant et superbe. Qui ne l’a vu de toute la génération actuelle des jeunes gens ? Qui d’entre eux ne l’a pas envié en le regardant passer dans les rues de Montréal, aussi ferme, la tête aussi haute, le regard aussi fier qu’il l’avait à la tribune, la bouche encore pleine de ces apostrophes brûlantes, de ces sarcasmes terribles qui en sortaient autrefois comme des éclats de tonnerre, lorsqu’il provoquait l’oppresseur ?

Mais s’il n’a pas été immortel dans la vie, il le sera dans la postérité.

C’est donc maintenant la tombe qui s’ouvre pour le plus grand de nos hommes d’état, pour le plus éloquent de nos orateurs, pour le plus dévoué de nos patriotes. La mort, la mort aveugle ne sait pas distinguer, et elle courbe toutes les têtes sous sa main implacable, même