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CHRONIQUES

taient pas une seule habitation. Dans ce temps-là, nous chassions le canard partout à trois milles en arrière du village ; les tourtes étaient si nombreuses qu’on les tuait à coups de bâton, il fallait presque s’en défendre dans l’air comme des maringouins. Sur le marché de Québec, j’ai vu ce gibier se vendre souvent au prix de quinze sous la douzaine ; aujourd’hui, vous ne trouvez plus ni gibiers ni forêts, mais des concessions et des villages qui comptent jusqu’à deux cents électeurs, pendus comme des nids aux flancs des montagnes ou juchés sur des plateaux qui semblent inaccessibles.

« Or, un jour, en m’aventurant à quelques milles au milieu des vallées et serpentant avec les détours des bois, je parvins à un petit plateau grand de quelques centaines de pieds, complètement libre d’arbres, et sur lequel s’élevait un seul tronc dénudé d’environ trente pieds de hauteur. La fantaisie me prit de grimper dessus ; laissant donc mon fusil à terre, je montai et j’arrivai au sommet du tronc. Là je vis qu’il était creux et d’un diamètre de deux pieds à peu près ; voulant l’examiner attentivement, je me penchai, mais dans le mouvement que je fis, une moitié du corps emporta l’autre et je dégringolai dans l’arbre béant. Vous pensez bien qu’arrivé au bas je n’étais pas fier. Comment sortir de là ? Me fallait-il donc sans secours y mourir de faim ou de désespoir ? Je me tournai et me retournai en tous sens, j’essayai toutes les façons de grimper, j’enfonçai mes doigts avec rage dans le bois que je croyais à moitié pourri, j’y fis des entailles furieuses avec mon couteau, mais tout cela en vain. Il faut avoir été dans un arbre creux pour savoir ce que c’est !…