Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
229
CHRONIQUES

l’eau y suinte par tous les toits dans toutes les mansardes et, de là, arrive dans le nez qui sert de dalle. C’est un spectacle inouï que cinquante mille âmes se mouchant à la fois pendant toute une semaine.

Ce qui m’étonne, c’est que plus le nez se vide, plus il grossit ; c’est donc un réservoir infini qu’une tête humaine et il n’y aurait pas de melon plus juteux au monde ! Connaissez-vous rien de plus humiliant qu’un rhume de cerveau ni rien qui témoigne mieux de la faiblesse humaine ? Être pris tout à coup d’un éternuement obstiné, opiniâtre, et être obligé d’y céder sans relâche, c’est tout ce qu’il y a de plus irritant et à la fois de plus instructif. La philosophie du nez, quelle découverte ! et, comme presque toutes les grandes découvertes, elle sera due à un accident. Je mets en fait qu’un nez qui éternue, c’est tout un monde d’illusions envolées et que l’homme, le roi des animaux, en devient le plus bête avec le coryza. De là je conclus que le rhume de cerveau est une affection essentiellement nationale.

Comment après cela bâtir des théories sur cet organe si nécessaire à la sécrétion cérébrale ? Que va devenir la nasomancie, science chérie de M. Bué, devant ce déluge qui confond tous les nez dans un seul type, celui de la pomme cuite ? Avant les pluies torrentielles qui ont changé la ville en un vaste égoût collecteur, il y avait encore, même à Québec, des nez qui faisaient rêver et des nez de rêveurs ; maintenant il n’y a plus que des nez de pochards endurcis.

Renifler sans cesse était autrefois l’indice d’un caractère moqueur et caustique ; aujourd’hui, n’allez pas