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CHRONIQUES

sont tous dans l’aisance ; qu’on entre chez le plus mince cultivateur d’entre eux et l’on y aura du beurre frais comme il serait impossible de s’en procurer à aucun prix sur les marchés canadiens. Jusqu’à l’époque où les travaux de l’Intercolonial ont commencé, tout ce monde-là, à peu près, ignorait la couleur de l’argent ; les journaliers travaillaient aux grandes scieries des Fergusson et des Moffat et étaient payés en bons de provisions qu’ils prenaient dans les stores de leurs maîtres, absolument comme cela a été longtemps et est encore jusqu’à un certain point pratiqué par la maison Price dans le Saguenay. Quant aux cultivateurs, ils vivaient du produit de leurs terres sans songer à l’exportation.

Ce que le chemin de fer a apporté de changements dans les habitudes, dans les relations et jusque dans les exigences de cette population, en moins de quatre années, aurait lieu de surprendre si l’on ne savait, par d’autres exemples, les effets violents et contagieux d’une importation brusque d’argent dans les petites communautés habituées à l’usage primitif de l’échange. Les mêmes hommes qui, autrefois, gagnaient à peine deux shillings[1] par jour, payés avec du lard et des biscuits, en recevant tout à coup un salaire mensuel de trente dollars soldé en espèces sonnantes, conçurent un désir immodéré d’argent, et s’imaginèrent, dans leur naïve avidité, que le métal du Canada coulait comme l’eau de leurs rivières, et qu’il n’y avait qu’à se baisser pour en prendre comme ils font des homards. C’est ce qui explique plusieurs grèves faites

  1. Quarante centins ou deux francs.