Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/309

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la hâte devant ce spectacle navrant dont ma mémoire indignée se rappelle tous les détails.

Frank Mehan et ses hommes, dès que toutes les issues furent bien clouées et murées, commencèrent aussitôt le déménagement. Ce ne furent pas seulement les meubles qu’ils enlevèrent, mais la literie, le linge, les fleurs, les articles de toilette, les mille petits objets qui composent l’ornement d’un intérieur, la batterie de cuisine, jusqu’aux mets qui cuisaient dans les poëles, la verrerie, tout fut mis dehors et déposé sur la voie publique.

Sutherland, prévenu, restait impuissant ; il ne put que contempler cette scène poignante, voir sa femme, sa sœur et deux petites filles adoptives jetées brusquement dans le chemin sans aucun avis, sans qu’il eût pu même s’en douter, par le fait de cette barbarie légale qui armait un vaurien jusque dans le foyer d’un citoyen anglais.

Il nous fallut partir, M. Bertrand et moi ; le soir même nous quittions Bathurst sous le poids d’une douloureuse émotion pour n’y plus revenir. Quant à Sutherland, il dut faire transporter tout son ménage à son magasin et se pourvoir d’un logement, pour cette nuit-là même, avec toute sa famille.