Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/330

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Vous êtes dans une assemblée parlementaire. Le premier orateur inscrit se place à la tribune ; les autres, dans l’ordre de leur inscription, sur des sièges préparés ad hoc. Chaque auditeur est muni d’une balle de plomb. Quand l’orateur commence à l’embê… pardon ! quand la conviction de l’auditeur est formée, il laisse couler la balle de plomb dans un tube qui se trouve à côté de chaque siège ; et, quand la moitié plus un des assistants a lâché sa boule, grâce à un ingénieux mécanisme, le poids de ces balles de plomb réunies fait basculer la tribune, l’orateur est englouti dans les dessous, et le suivant lui est mécaniquement substitué. On rend les balles et la fête recommence.

Sans doute cette invention n’a pas été faite pour le conseil législatif qui n’en a pas besoin ; car, là, il n’y a pas plus d’auditeurs que d’orateurs. Depuis un mois que siège le parlement provincial, personne n’avait encore entendu parler de cette chambre haute, lorsque, tout à coup, la discussion sur le double mandat est venue subitement révéler son existence. Oh, grands dieux ! quelle dérision imprévue ! J’ai vu des hommes entichés de cette institution, qu’ils regardaient comme un contre-poids nécessaire, s’en revenir accablés après cette séance.

Nos honorables étaient pris comme des rats dans un filet ; ils gigotaient, piaillaient, questionnaient, abasourdis d’avoir à rendre une décision, chose insolite. Toute la presse s’amuse de cette scène bouffonne, et la ville en fait des gorges-chaudes, heureuse de trouver dans son désœuvrement un objet risible.

La session tire à sa fin ; il le faut bien, le gouvernement a épuisé presque toutes les mesures conçues par