Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/333

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la moindre chimère enfante en un instant. Tous nos maux viennent de l’amour et le cœur de l’homme n’en soupire pas moins après lui ! Pauvres mortels ! Tristes jouets de toutes les faiblesses, vous désirez l’éternel, l’infini, et le moindre choc des choses périssables suffit à vous anéantir !

Tu veux te donner la mort, malheureux ! parce qu’une simple illusion, la première peut-être, vient de sombrer en toi ; tu dis que la vie est un fardeau trop lourd quand l’espoir ne la soutient plus ; tu dis que lorsque les liens du cœur sont brisés, l’homme devient insensible au sentiment ou au bienfait de l’existence. Oui, cela serait vrai sans doute si l’homme pouvait être un seul instant isolé sur la terre, et s’il pouvait trouver le vide quand la vie s’agite tout autour de lui.

Tu te plains de la chute de tes espérances. Mais vois d’abord si elles étaient légitimes ou si elles étaient autre chose que des chimères enfantées par ton imagination. Compare les espérances légitimes à celles que nourrit un cœur malade et dévoyé, et dis-moi si celles-là périssent. Insensé ! Tu crois donc avoir fait à vingt ans tout ce que tu devais faire sur la terre ? Tu crois donc pouvoir mettre toi-même un terme au bien que tu peux accomplir, aux services que tu peux rendre, à l’utilité dont tu peux être pour tes semblables ? Tu te crois donc seul dans le monde, affranchi de tous les devoirs et de la solidarité qui lie les hommes entre eux ? Tu dis que ta vie t’appartient et que tu as le droit de la détruire… Eh bien ! non, ta vie n’est pas à toi ; j’y ai autant de droit que toi-même, et, ce droit, je