Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/343

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Attendez-vous de moi que j’aille m’asseoir aujourd’hui une minute dans cinquante salons différents pour débiter la même banalité perfide ? Croyez-vous que je vais répéter avec mille autres imbéciles comme vous et moi cette formule, la même dans toutes les bouches, de la « bonne et heureuse année,  » quand je sais d’avance à coup sûr que l’année qui commence sera plus triste encore que toutes celles qui l’ont précédée ? Non, je ne vous ferai pas cette atroce plaisanterie, moi qui vous en fais tant d’autres dans le cours des trois cent soixante-cinq jours qui composent l’année calendaire. Je vous prédis au contraire que plusieurs d’entre vous mourront cette année même, peut-être moi le premier, ce qui n’en sera que mieux, et, quand vous m’aurez perdu, vous trouverez qu’il n’y a plus rien à désirer au monde.

Que puis-je donc souhaiter pour vous ? Rien. Ah ! si l’on pouvait un seul jour arrêter cet impitoyable et indestructible vieillard qui s’appelle le Temps, je ne dis pas, je vous ferais sans doute pour ce jour-là des souhaits comme jamais vous n’en avez entendu dans aucune langue ; mais à quoi bon, puisque, malgré tous les bonheurs que vous pourriez entasser ce jour-là, il est irrévocablement perdu pour vous ?

Toujours des feuilles qui tombent, toujours des larmes nouvelles pour remplacer celles qui sont séchées, Dieu sait comment ; toujours recommencer pour finir et recommencer encore, éprouver les mêmes sensations, souffrir des mêmes misères, c’est plus que monotone,