Page:Buies - Chroniques, Tome 1, Humeurs et caprices, 1884.djvu/351

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déjà aux trois quarts anémiques ; nous n’avons guère vécu, depuis vingt-cinq ans, que de la force que nous ont laissée les générations antérieures. Si nous ne fouettons pas notre sang qui s’épaissit et se caille à vue d’œil, nous allons mourir d’une syncope nationale. Ce n’est pas la peine que les années se renouvellent pour nous, si nous reculons au lieu d’avancer avec elles.

Ce qui a toujours manqué au peuple canadien, c’est l’action. Il en faut bien peu pour que nous fassions de grandes choses, car nous avons tout en main. Les ferons-nous ? Que la jeunesse réponde ; qu’elle mette hardiment le pied sur le vaste terrain qui s’étend des deux côtés du triste chemin que nous parcourons, qu’elle conquière cet espace qui s’offre à elle, et, en moins d’une année, nous aurons grandi de tout ce que nous avons négligé de le faire en vingt ans.

Depuis un quart de siècle, notre race subit une décroissance qui la mène à une infériorité aussi évidente que douloureuse pour les esprits qui savent voir les choses, au lieu de se payer de mots et de présomptions puériles. Rien n’est plus fatal que de vieillir en se croyant toujours jeune ; l’impuissance vient et l’on compte encore sur l’avenir. Il ne suffit pas de se souhaiter de bonnes et heureuses années ; il faut les rendre telles. Se féliciter, puis se croiser les bras, mène droit à la momification. Avant un autre quart de siècles notre peuple serait pétrifié, et les Canadiens orneraient les musées de l’Europe.

Un trait distinctif de notre race, c’est la fossilisation dès le bas âge ; il semble que nous ne soyons bons qu’à être mis en bocal ou conservés dans l’esprit de térébentine. Tout Canadien a une peine infinie à sortir